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LES CHAMPS
l’eau, qui le baigne pour y découvrir son sau
veur. Le poisson chevelu ne veut pas s’apitoyer et
sans arrêt, il coupe les racines qui veulent le retenir.
Toute la mer ne pourrait savoir où il va : villes
enterrées, chaleur des corps étouffés, râle des pati
neurs pour la vie, maladies salées des bêtes errantes,
gaz sans but, lanterne des jours, ivresse «les boule
vards, nuages abstraits des ciels occidentaux, pas
sages des rires calmés, regard scieur de long, sau
mure emmurée, enregistrement des bassins et des
parasites minéraux, magasin des souffrances à
venir.
Et pourtant ce jour-là encore, le soleil s’est levé :
cette route d’écailles conduisait à une ville profonde.
On voyait à plusieurs kilomètres les toits multico
lores qui brillaient. Une porte dorée fermait l’entrée.
Dans la petite maison vitrée, un homme décoré des
médailles mexicaines écrivait sur une toile les équa
tions parallèles que lui dictait un papillon appri
voisé. Le voyageur s’arrêta et, pour la première
fois depuis quelques mois, il parla à l’homme
médaillé.
Ils n’avaient pas vu derrière eux un chien danois
qui s’était couché devant le poêle. Il écouta. Lorsqu’il
aboyait, on savait qu’il répétait toujours leurs paro
les : « Dernier quartier de lune le 21, nouvelle le 27.
« Soleil : lever 3 h. 50, coucher 7 h. 56. — 1875 : ter-
« rible inondation qui fait plusieurs milliers de vie