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JEAN GIRAUDOUX
des sculpteurs. Elle préférait simplement les villégiatures humides, à cause
de sa glaise, et rentrait de vacances gavée d’écrevisses et percluse de
douleurs. Elle parlait sans liaison, sans adjectif, attribuant toujours la
phrase qu’elle croyait importante (sur le beau temps, par exemple, ou la
nécessité des armées permanentes), par modestie, à un corps de métier
voisin du sien, médaillers ou graveurs sur bois... Le Figaro lui accordait
le plus grand talent après Rodin, mais elle, ce qui l’amusait le plus,
c’était de percer les yeux de ses bustes à l’épingle à tricoter... Feuillets
d'art lui accordait le plus grand génie après Barka, mais ce qu’elle
préférait, c’était de faire les boutons des vêtements.
Rodin, Monet, Renoir, Debussy, tous avaient posé pour elle, elle
était la seule à imaginer l’impression des dix doigts du démiurge, si le
premier jour du monde, il avait pétri, au lieu d’Adam, tous les peintres
et musiciens de 1912 à 1919; mais ce qu’elle préférait, c’était modeler
de grands nez au coupe-papier, et comme elle ne savait, semblable à la
plupart des Français, reconnaître les Israélites, elle était stupéfaite, le
jour de ses expositions, de ne voir sur son catalogue que les Bernheim, les
Bloch Levallois, et tous les Valdos Heymann.
Parfois, des gens venaient la réveiller la nuit, comme on réveille un
médecin en province, des gens qui allaient le lendemain prendre des
vêtements de deuil, et n’avaient déjà plus de gants ni de chapeaux;
c’était pour l’emmener mouler la tête d’un mort célèbre. Elle se levait
sans mot dire, prenait son petit baquet, son rouleau à plâtre, et suivait,
pauvre cuisinière... Elle détestait d’ailleurs perdre ses compagnons, même
animaux, et quand elle avait à choisir entre un chien, un chat, ou des
oiseaux, elle allait voir le directeur du Muséum (car elle adorait voir le
directeur de chaque administration, de chaque monument, parler au
contrôleur, directeur du tramway!) et adoptait celui dont la race vit le
plus longtemps. Elle se proposait aujourd’hui d’acheter un jeune cheval,
car elle était à l’âge (les poneys de Zetland vivent trente et un ans), où