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PIERRE REVERDY
moderne que ses moyens de fortune lui permettent d’habiter — pas
plus qu’aucun détail scandaleux et soigneusement caché n’était capable
de venir ternir sa réputation soigneusement échafaudée.
Voilà tout ce qui eût frappé sans merci un observateur doué de
profondeur et de perspicacité mais pas vous, sans doute, ni moi qui
n’ai jamais rien déchiffré de tel sur aucun visage vivant ou mort et
encore moins sur celui de cet intéressant personnage épisodique.
Quoi qu’il en soit, gêné par cet inquiétant regard et aussi par le
soleil dont l’intention bien évidente était de lui crever l’œil droit de
ses rayons obliques, il quitta précipitamment la place et s’engouffra
dans la rue Réaumur où il faisait nuit noire.
Deuxième partie
LE MARCHAND D’ÉTOILES
Le soleil a fini d’inonder de sa pomme d’arrosoir superbe le monde
saturé de rayons. La nuit danse au pied des monuments publics.
Prends garde, lecteur. C’est ici que se dégage l’anecdote palpitante,
lumineuse et vraie qui conférera tout son intérêt à ce récit.
Tout à coup apparaît aux yeux à peine ouverts du conteur une
petite voiture attelée d’un âne encore plus petit. Tout indique que cet
équipage est en route pour les pays lointains : la faiblesse et la lenteur
de T âne, la précarité de l’équilibre du véhicule plusieurs fois trop grand
pour l’animal. Celui-ci est tellement fatigué que ses oreilles tremblent.
Il tire péniblement derrière lui tout le brouillard placé dans l’infini
comme une boule d’ouate dans l’oreille du poète aveugle et sourd