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BLAISE CENDRARS
Sur son visage, des paysages, fantastiquement alpestres, se pei
gnaient : les rides de son front se creusaient, s*abîmaient, l’ossature de
son crâne se voilait d’effroyables tristesses; de ses yeux, des torrents de
souffrances, des larmes, coulaient; il était secoué; il geignait, ainsi
qu’un pin tordu, au haut d’un roc et que le vent empoigne et déracine!...
Un cri; un dernier éclair dans les bois, clarinettes et bassons, le
bouillonnement d’un sang chaud : son sexe était foudroyé, un serpent
tronçonné se tordait à ses pieds; la terre brûlait; le firmament flambait;
l’univers tout entier sautait hors de son orbe; ... et l’âme pensait mou
rir... : il n’était plus qu’un œil figé dans l’épouvante!...
Sa face avait pâli. Il était comme spiritualisé. Il avait quelque chose
de sataniquement sinistre! Il n’était plus qu’un œil qui contemplait...
Ses gestes étaient plus lents, plus alanguis. Les rythmes, plus com
pliqués, avec des heurts subits et des saccades. Les cordes étaient pin
cées; les bois gloussaient; les harpes s’égrenaient. Tout l’orchetre, hale
tant, puisait, dans cette paupière ouverte, dans cet œif fixe, plaies,
brûlures... C’était comme un moment d’hésitation, d’attente, — insup
portable, surtendu... Lui-même, s’était abstrait, — grandissait, grandis
sait. Ses mains, fleurs exsangues, au bout de ses bras flexibles, trem
blaient.
Il montait.
Il ne voyait plus que des mains tourmentant, fébrilement, les
violons; des doigts fous, courant prestement sur les flûtes; des mains
perverses, caressant languissamment les harpes, en une molle langueur
— et, peu à peu, il se sentait enlevé. Les instruments même disparais
saient et les joueurs; rien que des mains, comme une atmosphère lumi
neuse, ondoyaient, en cadence, des mains spirituelles et presque translu
cides, un parterre rare de fleurs se mettant à parler, à chanter tristement
et à choir..., pétale par pétale..., dans la lumière... et un parfum sonore
fusait, tout droit, en haut, une voix d’or, chant enfantin, soleil d’airain :
son cœur...
Les mains étaient des vols d’ailes blanches, des ébats de colombes,