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MARCEL RA VAL
optimisme de façade et la pente douce et manifeste du dégoût. Irène
ne ressent pas ce malaise qui me gagne ou cherche à l’absoudre par une
gaieté fausse. Sa jeunesse d’hier a ouvert les écluses. Son sourire extra
vasé, ses paupières blettes découvrent un âge qui n’est même plus dans
la banlieue des vingt ans. Les phrases se font lentes et neutres. Amour
déçu, regrets : accumulateurs de silence. Que faire? Combler et tasser
le temps au point de nous arracher celui d’un retour tardif et redoutable
sur nous-mêmes? Mais le temps fume la matinée avec une indolence de
femme. Sentiment de l’irréparable, n’ai-je pas jeté à la poste une lettre
munie d’une fausse adresse?
Æ
Quatre-vingts mètres à la seconde : les platanes de la route se tien
nent par la main.
Le calendrier joue à l’automne : trois jours tombés déjà. Depuis le
premier réflexe de ma lassitude — mots amers — devant sa tendresse,
vous connaissez ces fleurs qu’une main a trop visiblement ouvertes? nous
vivons une vie dont l’habitude a fait sa conquête. Billard avec trois
vieilles pensées ménagères. Nos sens se laissent apprivoiser par l’appel des
pétunias et des clairons. Certains silences d’horloge et de quinconces,
nous les tirons à nous comme les malades leur couverture. Irène ne
comprend plus. Elle ignore les accessoires absolument imaginaires, insépa
rables d’elle, dont le hasard a doté nos rencontres. Pailles dans les verres
vides, refrains de « blues », baisers de petite aube, complices d’un charme
que la province émarge. Irène, il faut partir...
*
Cent soixante mètres à la seconde : une bague sur un fil à soie.
La route est là, la même, tout autre, à l’envers. Les paysages tournent
comme les feuilles d’un livre sous le vent. Soudain, le film se dévide