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JEAN GIRAUDOUX
de la fiancée, selon sa profession, les livres ou les ampoules, apportant
une pile de nouveaux poètes, ou illuminant à lumière rouge le poisson
rouge, et bleue le merle blanc, selon qu’il disposait d’un tramway, d’un
taxi ou d’une auto, lui révélant Bois-Colombes, Marly ou Chartres, et
disparaissait un beau jour, sans que Geneviève ait jeûnais su pourquoi,
comme si son rôle dans l’existence avait été uniquement de révéler à cette
tendre créature les dadas ou le plomb vierge qui ne fond pas dans les
courts-circuits. Les écrivains amis de Geneviève ne se croyaient même
plus tenus de dédicacer leurs oeuvres au fiancé en cours. Geneviève,
dont le visage se modelait de façon inlassable, ne répandait aucune
plainte et se contentait de ressembler quinze jours au disparu... Nous
l’adorions, car elle était une de ces forces ou de ces faiblesses naturelles
que le monde ne produit pas en abondance et dont la civilisation se venge
en les accablant de toutes les médiocres disgrâces qu’elle a à sa dispo
sition, car Geneviève était enfant et mère adultérine, divorcée, défroquée,
et pas mal d’autres choses encore. Elle se défendait contre la société par
des phrases d’enfant qui causaient de la honte à tous ceux qui se
croyaient en règle avec leur petite conscience : je suis enfant adultérine,
mais mon père était sénateur; j’ai quitté le couvent directement pour
l’atelier Quentin, mais c’est que je ne crois en Dieu que l’été; je suis
divorcée, mais je continue à vivre avec mon mari; j’ai été Autrichienne
pendant la guerre, mais je suis revenue deux fois en France en aéroplane
pour accoucher de petits enfants morts...
Sa fierté était de nous parler à toute occasion d’une cousine de
Montbéliard qui, elle, était en règle avec tous prêtres et hôtels de ville,
qui était légitime, baptisée, mariée à l’église, et qui enfantait de petits
enfants vivants. Mais d’une beauté extrême, surtout les jours où elle
ressemblait à un fiancé non humain, à l’esclave de Michel-Ange, au
fleuve la Piave, ayant non seulement les trois sillons du ventre, les traits
et le buste parfait d’après le compas des Beaux-Arts (que de fois nous