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MARCEL RAVAL
LIVRE D'ADRESSES.
Toute la poésie du cœur est là. Alphabet chroma
tique découpé sur le bord : petites dalles funèbres sur
quoi la tache d’encre semble un ramier noir. Noms de
femmes, clairs-obscurs où le prénom seul confisque la
lumière. Tournons le film aux 26 épisodes :
Anne : blondeur, parents, Samain, minuit sous le mar
ronnier... Blanche : mensonges, je t’aime et tu t’es
échappée !... Claire : la rue Pigalle et ce goût d’é
ther dans sa bouche... Danièle : le petit cœur du
taximètre qui bat trop vite et ses baisers qui
s’éternisent. . . Edwig : rubis, tango,
Putiphar et les seins que je ramasse.
F
Cœurs-volants, cœurs-volants, par quels hasards
vos ficelles tiennent-elles encore dans mes mains que
la vie charge et sollicite ? Ces paraboles, ces courbes
tendres sur mes paumes, — ne sont-ce pas elles qui
les ont faites ? Je voudrais crier “lâchez tout ” et voir
mes souvenirs crever dans l’air comme des ballons
d’enfants ! Bouquets de verts, de bleus, de jaunes, de
rouges, quel arc-en-ciel sur mon cœur vide!...
... Cœur d’ardoise sur lequel chaque amour lais
serait ce goût de craie de la première aventure. Je
n’aurais plus parmi les voltiges de tant d’images cet
air de Parsifal devant les Filles-fleurs. Un cœur glabre
et sans passé, soulagé du lest froid des mensonges,
anx rêves cicatrisés
au lieu du coquillage sonore et
lourd qui vous chuchote sans cesse des noms de filles.
Tais-toi, bavard oiseau des Iles !