feuilles libres
CRITIQUE GÉNÉRALE
LA VULGARISATION, DE VOLTAIRE
A M. NORDMANN.
— Donnez-nous des idées, des idées générales, pour alimenter
notre conversation, renforcer l’encre pâle de notre écritoire, et meubler
le vide de notre cerveau î
Mais qui donc ira chercher l'Idée, qui vit sauvage et nue dans son
grenier, pour la vêtir d’une robe à la mode et la faire danser sur le
parquet ciré de la littérature ? Ce sera la vulgarisation. Cette intermé
diaire complaisante, cette entremetteuse entre l’idéal et l'utilitarisme,
met en monnaie les lingots d'or de la pensée. Opération nécessaire
pour les échanges intellectuels et où il faut apporter autant d'art que de
probité. N'est pas vulgarisateur qui veut. Si c'est un métier que de
faire un livre, c’est une vocation que de prétendre accorder le néant et
l'infini, l'ignorance et le savoir, et allier le cuivre de la plèbe au métal
fin des sages. Le xviii* siècle a eu Voltaire, après Fontenelle. Au xix*,
pourquoi ne serait-ce pas Renan? On m’objectera le Corpus inécr. démit.
et la Æidéion en Phénicie. Je veux bien que Renan ait été un érudit en
quelque domaine, mais n'a t-il pas été pour les sciences religieuses pré
cisément ce que Voltaire avait été pour Newton et Locke? Sa conception