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moi son ami de trente ans, moi qui ai eu l’honneur et la joie de
répondre à son discours de réception? Croyez-moi, chère amie!
J’ai toujours pensé que le maître de la science contemporaine
irait un jour si loin à la rencontre de la Connaissance qu’il
réaliserait ra-tion-nelle-ment ce qu’ont en vain quêté les explo
rateurs des arcanes, nécromans, mages et thaumaturges. Eh
bien, l’heure est venue. Sachons attendre.
C’est deux jours après cette visite, exactement à dix heures
du matin sonnées à la grande horloge franc-comtoise du salon,
que Dominique Dalibert, la redingote nette mais ses pantalons
maculés de poussière aux genoux, ouvrit toute grande la porte
de sa librairie d’une main souillée à la fois de mou frais et san
glant et d’une chose gluante et brillante qui lui mettait comme
des écailles aux doigts.
Souriant, persuasif et un peu ridicule, le grand homme
excitait la chatte à le suivre en imitant à la perfection le lan
gage inarticulé de cet animal.
— Miaou... meu-aah... meuhaou... menemeuhaou!...
Lente à désespérer tout autre que Dominique Dalibert,
depuis si longtmps soumis à la discipline de l’expérience, Pous-
tikette daignait apparaître et le suivre. La princesse de gout
tière tenait dans sa gueule rose l’un des derniers (c’était un
poisson d’argent) des beaux monstres muets de l’aquarium
dont son maître l’avait régalée, un à un, en commençant par
les poissons d’or.
Il entraîna ainsi Poustikette, qui avait achevé d’engloutir
très proprement sa friandise, sans salir le tapis à sujet, jusqu’au
boudoir où Mme Dalibert, d’avance excédée, s’apprêtait à
dicter à Phrosine le menu du jour.
— Poustikette... ma jolie... venons çà... tout doux. Pous
tikette, connaissez votre maîtresse...