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Les images directes ne suffisent cependant pas à l’expres
sion de la pensée Qu’on le veuille ou non, il s’établit entre elles
des relations, des correspondances, dictées par des affinités natu
relles ou de voisinage, Bientôt elles sortent ensemble et ces
couples d'amies forment des comparaisons- Plus tard, pour la com
modité de la conversation (car le salon de la conscience est trop
étroit pour contenir beaucoup de monde à la fois) elles ne
paraissent plus que seules, mais la vue de l’une appelle nécessai
rement celle de l'autre. 11 y a alors métaphore. Parfois, la maî
tresse de la maison, distraite, les prend l'une pour l’autre ; cette
confusion se nomme métonymie.
Le vocabulaire fourmille ainsi de gens équivoques dont on ne
sait si le visage est emprunté ou naturel. Le temps se charge de
déceler ces subterfuges en creusant de rides les uns et en faisant
éclater une jeunesse éternelle sur les autres. Ainsi Boileau
paraît fade pour qui ne réalise pas ses métaphores vieillies,
papier-monnaie défraîchi par deux siècles d’usage. Les roman
tiques éprouvaient le besoin d’étriller « ce polisson de Racine »
alors qu’ils auraient dû se contenter d’épousseter son vocabulaire
pour découvrir la pensée palpitante.
M. Ed. Dujardin dans son bréviaire poétique De Stéphane
Mallarmé au prophète Ezéchiel fait la guerre à la métaphore, bien
qu’il reconnaisse ne pouvoir l’exterminer. Il est d’un bon chré
tien de ne vouloir la mort de personne, mais il est d'un bon
linguiste de savoir que les métaphores vieillissent, meurent et
qu’il en renaît sans cesse. M. Jean Paulhan, dans son charmant
opuscule Jacob Cow-, fait quelques passes d'escrime, après
M. Dujardin, contre les théories de Bréal, de Darmsteter sur
la vie et la mort des mots figurés. Il en appelle aux Kikouyous qui
appellent la voie lactée « liane de ciel », et la joie « clair-de-
lune de cœur ». Mais pourquoi se réfugier chez les Malgaches,
quand nous pouvons surprendre ici même l'engendrement des
métaphores? Aucun mystère dans cette incarnation. J'ai cité
tout à l'heure un vers du poème de M. Paul Morand, Un