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s’y prend mal quand, à ce prix, il drape et emprisonne tous ses gestes
v.ers la Vie dans la rude bure que découpent, à ciseaux inexorables, les
« pères supérieurs » que je pourrais bien nommer, dans certains mo
nastères désolants.
Vous le dites, la peinture manque d’humour, de pittoresque, de fan
taisie, de chatoiement. Entendons-nous sur ces mots. Ils sont, comme
la langue d’Esope, à mépriser et à aimer. Il y a de l’humour, du pitto
resque, de la fantaisie et du chatoiement odieux : il en est d’adorables
et qu’il n’est certes pas impossible de concilier avec ce que l’on appelle,
je crois, « la volonté de construction, l’affirmation du volume, l’archi
tecture des masses », et autres formes de jargon. Le credo âpre et
froid des doctrinaires du jour doit s’accommoder de l’humour, du pitto
resque, de fantaisie et de chatoiement. Il le peut. Les mariages du
cœur et de la raison font souvent de beaux enfants. Le mariage de la
Nature — dont on a dit bien du mal depuis quelque temps — et d’une
Règle plus souriante nous pourraient faire de beaux tableaux.
Pardonnez-moi de ne pas croire avec vous que la peinture est la force
animatrice et le modèle des autres arts : je donne ce rang à l’Architec
ture. Il est à penser que si la peinture se liait davantage à l’architecture
— et cela se produira quand nos architectes cesseront d’insulter leur art
en lui mettant des masques anciens, — elle s’égarerait moins dans le
maquis casuiste. A s’évertuer pour tenir dans des cadres dorés, elle perd
la presque totalité de ses forces d’expression. Sa mission est complé
mentaire de l’ordonnance architecturale, et nous perdons à peu près
tout notre temps à ne parler que de tableaux, de simples tableaux. Au
r.este, qu’importe, laissons faire. A y songer, est-il bien utile de récri
miner ? Nous n’empêcherons pas que notre temps ait son total de
chefs-d’œuvre peints, comme les autres temps, soit sur le mur, soit sur
le chevalet. Mais ces œuvres-là seront nées en marge de toutes les
théories, en marge de mes modestes suggestions. Vous et moi serons
bien étonnés si nous vivons un peu, de constater, devant quelques «belles
choses », combien peu pesaient nos argumentations et comment, par la
plus déconcertante malice, elles ont été déroutées et rendues vaines.
Pour la poésie, je n’ai qu’une opinion très retenue. Je respecte
tant la poésie que je la crois bien capable d’assez de liberté et de
caprice pour rompre tous les liens où je pourrais essayer de l’enfermer,
si je m’avisais de prophétiser de ses actions et de ses réactions. Elle
fera ce qu’elle voudra, elle sera toujours belle quoi qu’il en soit. Je
dirai seulement que, lui sachant des ailes, je ne la suppose pas capable
d’endosser la cagoule des théoriciens de la salle II.
Quant à la Musique, s’il vous plaît, n’y touchons pas. C’est le seul
art qui provienne absolument de l’Esprit et qui dédaigne l’auxiliaire
de la matière. Et savons-nous ce qu’est l’Esprit, ou comme il souffle ?
Quelle honte pour moi, d’annoncer une évolution de la musique en tel
horizon ou tel autre. Si, après demain, un génie ouvrait le piano et
faisait entendre la Voix imprévue, le langage qui ne vient d’aucune
grammaire... Oh ! non, je vous en prie, ne me demandez rien sur la
musique. A celle-là, il ne faut pas toucher. Ses sources ne sont pas
humaines. Nous saurons peut-être un jour d’où elles viennent, quand
nous serons au tombeau. Bornons-nous au concret, et laissez-moi ter
miner par le vœu de voir les çeintres de la Salle II, et je le répète,
d’autres, — redevenir de parfaits indisciplinés, quand ils auront dé
chiré leurs codes et ouvert les veines de leurs Catons.
Pascal Forthuny.