Le Salon d’Automne .est sans doute représentatif de l’état moyen de
la peinture française, mais le fait que ni Picasso, ni Braque, ni Juan
Gris, ni Derain, ni Matisse n’y exposent c.ette année, rend fort sus
pectes les opinions de ceux d’entr.e mes confrères qui s’obstinent à
rechercher des œuvres bien caractéristiques des tendances directrices
de l’art contemporain, dans un Salon où brillent par leur absence ses
principaux pionniers. La portée historique de la vente de la collection
ayant appartenu à mon ami Henri Kann-Weiler, a une autre signifi
cation et une autre portée historique que ces confrontations annuelles
de la production moderne que l’on traite de Salons et qui ont perdu,
à cause du nombre toujours croissant des expositions particulières,
toute valeur réelle et toute raison d’être. Si je ne craignais de me faire
prendre pour un méchant confrère, je me contenterais de sourire à
l’idée qu’il existe encore des critiques qui demandent à la peinture
de distraire .et d’égayer, tandis que les professionnels du rire offrent
à un public, friand de joies faciles, des aliments d’une essence supé
rieure à celle que ne pourraient lui dispenser nos humoristes les plus
avertis. Sans doute l’art moderne est-il grave et austère, mais c’est
dans les dernières œuvres cubistes de Picasso, dans les tableaux de
Braque, de Gris, de Gleizes, de Lhote, de Marcoussis, d’Ozenfant et de
Jeanner.et et dans les statues de Jacques Lipschitz et non dans les
peintures, du reste honorables de la Salle 2, qu’il faut chercher les élé
ments de cette austérité. Je n’élude pas les questions que vous me
S osez, mais je refuse d’y répondre directement. Sans doute, le Salon
'Automne m’ennuie-t-il, mais, n’en déplaise à cette presse quotidienne
que vous honorez beaucoup en prenant en considération ses affirma
tions toutes gratuites, la peinture française, celle dont l’apport plas
tique vaut à notre art son rayonnement universel, est ailleurs que
dans la Salle de 1’avenu.e d’Antin. Je me fais fort de prouver à tout audi
teur de bonne foi que, dans les œuvres exécutées par Picasso et par
Braque en 1908, sont contenus tous les éléments de cette prétendue
renaissance de l’esprit constructif et classique dont les innombrables
contrefacteurs du Salon d’Automne se disent les artisans.
Nul, je pense, ne reprochera à Picasso, qu’on fit passer plus d’une
fois pour un jongleur, sinon pour un plaisantin, de manquer d’humour.
Et Picasso, à lui seul, n.e représente-t-il pas mieux la peinture moderne
que tous les exposants de la Salle II réunis ?
Il me paraît difficile de situer sur le même plan les œuvres des
poèt.es et des musiciens mentionnés dans notre enquête, et les tableaux
du Salon d’Automne. Les peintres cubistes sont, autant que je sache,
les véritables amis, les illustrateurs et les seuls « correspondants »
de Cocteau et de « Six ». Votre parallèle hypothétique ne résiste
donc pas à l’épr.euve d’un examen précis.
Si je souhaite que la poésie et la musique « épousent cette plasticité,
cette mesure, cette discipline intérieure, qui sont les caractéristiques
de la peinture d’aujourd’hui », de la peinture de Picasso, et de Gris
s’entend, je vous envie de pouvoir découvrir de semblables vertus dans
les œuvres exposées au Salon d’Automne.
Waldemar George.
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Je conteste que la peinture, qui est un art immobile, soit la force
animatrice des autres arts. Leur force animatrice, ch.erchez-la dans leurs
réactions devant la vie extérieure et, rarement hélas, intérieure. Cette