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voué à la redingote au port du sobre et distingué uniforme de
capitaine de frégate.
Dans une vitrine, des crânes de chats, d’une émouvante
férocité ; des squelettes de singes, de rapaces et de passereaux ;
celui d’un colibri qu’on eut pris aisément pour l’un de ces
inouis chefs d’œuvre de la patience des forçats; dans de
l’alcool, des cervelles de chiens, de lions, de rats, de chevaux ;
diverses horreurs scientifiques.
Dominique Dalibert posait sa main, si élégante qu’elle
éloignait l’esprit des dégoûtantes manipulations qui la faisaient
palpiter d’aise, sur le Tome 2 des Œuvres complètes de Con-
dillac, Traité des Sensations; la belle édition, dite vulgaire,
de l’an VI, en vingt-trois volumes. Il s’apprêtait à l’ouvrir à
la page 530, qui est proprement du Traité des Animaux,
seconde partie, et fort distincte, de ce Tome 2 revêtu du seul
titre de la première. Il y eût lu, ou plutôt relu, avec une volup
tueuse curiosité qu’eût émoussée l’expérience définitive pas
encore réalisée : «... Les bêtes inventent donc, si inventer
signifie la même chose que juger, comparer, découvrir. Elles
inventent même encore, si par là on entend se représenter
d’avance ce qu’on va faire. Le castor se peint la cabane qu’il
veut bâtir. Ces animaux ne feraient pas ces ouvrages si l’ima
gination ne leur en donnait pas le modèle ».
Mais n’inventent-elles pas au delà et Condillac n’est-il pas
imprudent d’abandonner les bêtes à leur sort mesuré à ce
point où il croit voir mourir leur imagination, quand il est si
vraisemblable, si heureusement plausible, qu’elle se sépare seu
lement de l’invention humaine? C’est ce qui tourmentait de
puis longtemps Dominique Dalibert.
Ses doigts soignés se serraient plus fermement sur le Con
dillac quand des doigts plus rouges, plus rudes, boudinés,