ÇA IRA !
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Je pleure de revoir les coteaux et leur pente,
et leur inflexion comme une voix aimée
qui parle et en parlant qui chante,
et de sentir en moi, hors de moi, s'animer,
le monde ému et beau de mes jeunes années.
Et la couleur des choses, et la cambrure des arbres,
qui est autre qu’ailleurs, pour redoubler et déborder mes larmes.
Je pleure de revoir la maison, et la chambre,
de palper sur les murs le papier aux tons d’ambre
où la main colle sur le glacé luisant,
et que je caressais lorsque j'avais trois ans.
C’est surtout la campagne que je revois, et les promenades,
Ces promenades avec mon père déjà vieux dans son complet grisâtre
et rose fade,
qui était fripé comme un visage ridé à la place des genoux,
parce que mon père déjà se laissait vite et devait s’asseoir beaucoup.
Ses jambes me semblaient flageoler quand il s’arrêtait debout pour
désigner de la pointe de sa canne
quelque chose très loin dans l'atmosphère, qui trémule, de l’été diaphane
(O l’image débile où tout tremble et où tout paraît reculer
dans un pulvérulent mirage d'argent pâle et pelliculé !)
Il racontait sur ces décors des histoires qui avaient dû s’y jouer, me
semblait-il, dans un passé immémorial,
puisque ce passé était le temps, où je n’étais pas encore là :
“ Ce qui est en ruines là-bas, disait-il, c'est une briqueterie qui a été
incendiée l’autre année ;
“et on n’a jamais rebâti sur les tronçons des cheminées.,,
Je revois les chemins où nous allions avec ma mère tous trois ensemble,
et ma poitrine secouée de sanglots voudrait s’élargir assez ample
pour embrasser toute cette terre et tous ces arbres ensemble,
et pour pouvoir les serrer contre moi d’une opprimante et amoureuse
étreinte,
et je sens dans mon rêve que je vais me jeter sur la terre pour m'y
rouler et la mordre à y imprimer des empreintes.
O ces coins de pays chargés de souvenirs, prêts à crever de souve
nirs, qui se contraignent !