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René Edme
Il y a très probablement des hommes condamnés, cœur et
esprit, et accablés de génie comme pour prouver mathématique
ment le miracle ou la présence de Dieu. Mais je ne le veux pas
croire. Je sais trop que c’est à la souffrance et à sa logique sans
défaut que René Edme doit d’avoir écrit ses plus belles pages.
Poète et grand poète, il n’a pêché que par excès d’harmonie.
André du Bief et moi avions depuis longtemps prévu sa fin.
Et dès les premiers jours de cette année, mesuré auprès de lui la
distance qu’il avait perdue.
Mais ceci n’est pas pour la “ Vie des grands hommes „ ou
le manuel scolaire. Encore que merveilleux et tout empreint de
cette haute noblesse contre quoi Mr. Léon Riotor, l’ordonnateur-
ami des poètes ne pourrait entreprendre.
J’avais connu René Edme, un jour de mars 1920. C’était au
temps du jeune-communisme prêché par le tendre poète Garrigue
Garonne. La révolution russe avait touché au cœur les écrivains
syndiqués de la rue Fontaine. Le printemps aimable aidant, un
peu d’argent aussi, je ne me défendais pas de quelque illusion
quand je rencontrai René Edme.
Très beau déjà, pour ce genre “ fleur du mal „ qui étonnait
souvent, il échappait à tout romantisme. Il avait à vingt ans réussi
son portrait. Et ce portrait quel peintre l’eût pensé mieux que lui.
Je devais alors éditer les poèmes de “ Dionysos sourit „,
quelques vers écrits par Edme du temps qu’il était à la caserne ou
plutôt à la salle de police et dans les geôles régimentaires. Nous
avions convenu d’une firme : “Le Signal „ , fait imprimer des
bulletins de souscription. Pour une indiscrétion judiciaire tous nos
projets durent être abandonnés.
Cependant René et son ami André du Bief faisaient paraître
le numéro un du journal “ Non „. Critique individualiste, anti-dada
proclamait la manchette. De telles tentatives meurent en beauté.
Non n’alla pas plus avant. Entre autres mérites la feuille si sympa
thique comptait, avec la collaboration de du Bief, un poème de
“ Dionysos „ des placets de René Edme, et, en rez-de-chaussée,
trois colonnes de critique : de quoi s’aliéner toute une littérature
déchue et l’art eh goguette.