A la manière de Torain
Alors.., on va se faire démobiliser ?
Les cygnes du Schwansee
par Maurice Barrés
Il y a près de trente ans — trente ans déjà ! — au cours
d’un voyage en Bavière, je m’attardai à visiter Linderhof,
Berg, Chiemsee, New-Schwanstein, tous les châteaux
que Louis II bâtit dans les plus beaux sites de son
royaume. Méditant d’écrire XEnnemi des lois, un petit
livre qui devait conduire le culte du moi vers l’anar
chisme, son aboutissement naturel, il me plut de tracer
le portrait de Louis II qui opposa toujours les mouve
ments de son cœur aux lois humaines et dont l’étrange
existence ne fut qu’une protestation contre la vie réelle.
J’errai longtemps dans les solitudes de la Bavière, au
fond de ravins mystérieux, de gorges sauvages et mon pas
glissait, derrière l’ombre du roi mélancolique, sur la
mousse des forêts silencieuses, au bord des lacs solitaires
que le courant rougissait entre les. sapins noirs. Sous les
murs du château de Ilohenswangau je regardais souvent
les cygnes se promener sur les eaux du lac légendaire.
Et un jour, comme je leur tendais au lieu de pain des
branchages les cygnes irrités voulurent se jeter sur moi.
Je ne sais pour quelles obscures raisons ce souvenir
m’obséda l’autre nuit tandis que je contemplais le long
des rives de la Moselle la fête nautique que la ville de
Metz donnait en l’honneur du président Poincaré. Je sui
vais la course rapide des barques illuminées. Mille lam
pions jouaient sur le sein mouvant du fleuve comme
jouent les pierres d’un collier sur une poitrine frémis
sante. De petites vagues clapotaient à mes pieds. Je
songeais. J’ai toujours aimé à rêver près de l’eau.
A mesure que nous avançons en âge, nous perdons je
ne dis point la faculté mais l’émotion de sentir. Les
années accomplissent en nous, sourdement pour ainsi
parler, un travail d’élimination, un classement ; et c’est
pourquoi nous réduisons les paysages aux lignes essen
tielles et, même, nous distinguons parmi ces lignes le
trait dominant qui est, èn quelque sorte,l’idéedu paysage,
idée sèche, peut-être, dure et amère parfois, mais ferme,
pleine de sens, et qui ne crève point sous la dent comme
la croûte d’une pâtisserie soufflée.
Ce qui, donc, s’imposait à moi, par-dessus tout, le long
des rives bruissantes de la Moselle, c’était l’odeur des
branchages en train de se flétrir, les branchages des arcs
de triomphe, ceux qui jonchaient le pavé des rues, ceux
aussi qu’agitaient les Lorrains tout heureux d’être libres
et d’être français. Et cette odeur fanée me donnait à
savourer l’amertume des fêtes finissantes.
Que l’on y prenne garde ! Sans doute la guerre est —
J»k.
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