Full text: Numéro spécial (1er Octobre 1919)

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LE CRAPOUILLOT 
1 - ■ - i — 
A la manière de Georges d’Esparbès. 
UN ZOUAVE 
A d'adjudant Flick du 27 me escadron du Train 
ex-Roy al- Cambou is. 
C’était aux heures noires de Charleroi, les zouaves ve 
naient de pousser durant une demi-heure sur les mitrail 
leuses allemandes, une effrayante charge à la baïonnette. 
Fauchées, hachées, effilochées comme desfrandouilles, les 
lignes de tirailleurs tourbillonnaient. C’était un maëls- 
trom de viande. Les blessés, les morts se vautraient sur 
un sol giclant de sang. Hagards, exorbités, les survivants, 
tordus de terreur soudaine, lâchaient la bride à leur 
âme et refluaient vers l’arrière comme un ressac d’hor 
reur. C’était pourtant des blasés de la victoire, des ivres- 
morts de la gloire coloniale, mais pour la première fois 
ils reculaient. 
Or gisait devant les lignes allemandes comme une 
immense épave, le clairon géant Trique, dit « qu’est-ce 
qui pue ? —C’est le bouc ». Un éclatement de 210 l’avait 
assommé sans entamer le cuir coriace de sa chair bouca 
née par tous les tropiques et il rêvait qu’il était mort et 
qu’au ciel les géants de l’Empire, les ancêtres, ceux de la 
Grande-Armée, l’accueillaient en lui offrant l’absinthe 
qui est le pain et le sel du paradis des braves. 
Mais, poussant de rauques clameurs, la horde teutonne 
déboulait de ses trous ; c’était la contre-attaque « à l’alle 
mande », contre les agonisants et les morts. Alors le 
clairon Trique se réveilla. 
— Paraît qu’c’est pas encore pour c’te fois ! rota-t-il 
tout en numérotant ses abatis. Enfin, contre les kaiser- 
licks du Tonnerre de Dieu un clairon de zouaves, ça fait 
l’affaire. Puis sublime, il empoignait son instrument, le 
clairon de l’Isly, de Palestro, de Gravelotte, et par défi, 
bravade farouche, piqua les notes exaltantes : Y a la 
goutte à boire là-haut, y a la goutte à boire ! 
Calottés par les ondes sonores les premiers rangs des 
assaillants tombaient raide. Mais derrière, fourmilière, 
marée, grouillis hurlant, la Germanie poussait. Trois 
balles labourèrent comme des mouches la carcasse du 
clairon Trique et ses deux oreilles sautèrent. Il rit gou 
lûment, à vastes rasades. 
— Paraît que ma gargoine vous attire, bande de 
mouches à m... ». Et appuyant son Lebel contre sa 
hanche gauche, Trique tout en sonnant la charge de la 
main droite tirait sur la crapule. La viande feldgrau 
tombait.C’étaitcomme siun vent eût gaulé desfruitsblets. 
Mais la crapule tirait toujours et le bras droit de Trique 
sauta sous une volée de balles. 
— Il fait soif!» ricana Trique, et inclinant la tête, il 
pompa galamment le sang de son moignon. Cependant 
son bras gauche laissait choir le Lebel cochonnicide et 
crochait le clairon frénétique qui reprit ses accents infer 
naux. Pour reposer ses poumons, le soufflet de sa forge 
à forger l’héroïsme, Trique, manchot, empoignait son 
Lebel et en jouait un air. La crapule tirait toujours, régi 
ment contre un homme ! Trique se muait en écumoire, 
et criblé, en éponge à sang pressée par la mort. Son œil 
droit, énucléé, jouait à l’escarpolette au bout du nerj 
optique intact. 11 était beau comme la guerre. 
En face, un mur, un monceau, un himalaya de cadavres 
escaladait le ciel de la tuerie. Une décharge nouvelle 
flamba qui cassa les deux cuisses du zouave qui croula 
comme une tour. Il bavait écarlate, pétait du feu. 
La sonnerie pourtant ne cessait pas. Ses. mâchoires de 
héros s’étaient crispées sur l’embouchure de l’instrument 
et le clairon sonnait toujours ! 
Le clairon sonnait la charge, avec sa mort, avec sa vie, 
car une pluie pourpre fusait du pavillon d’or comme d’une 
pomme d’arrosoir. 
— Le général J offre qui suivai t l’action au télescope 
viola son silence, son mutisme effrayant. 
—- « Voilà un brave », dit-il. 
— « Vive le Roy », répondit son état-major. 
Et le couvercle du sépulcre de l’àme du grand-père 
retomba. 
Georges d’Esparrès. 
71 la manière du “ Tigaro ” 
DÉPLACEMENTS ET VILLÉGIATURES 
M. Gabriele d’Annunzio(venant de Fiume) à Caporetto. 
M. Maurice Rostand, à Saint-Jacut-de-la-Mer. 
Le duc de Gontaut-Biron, à la Pétardière (Morbihan). 
LaBaronne Fourton, née Danton douairière, àUhamonix 
M. Raymond Poincaré, à l’Elysée. 
On nous annonce, d’autre part, l’arrivée imminente de 
M. Georges Mandel à M’ont faucon. 
A la manière de l’Avenir. 
GRAND CONCOURS 
De qui est-ce? 
— Ah ! je ne tuerai plus de charbonnière, 
c’est trop salissant ! 
De qui est cette profonde pensée? 
100.000 francs de prix
	        
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