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voulu mettre ni techniquement, ni sensiblement, ce
lui-ci lui échappe, se passe de lui et fait comme tous
les univers plastiques, c’est-à-dire joue de tous les
artifices de la peinture, adresse les mêmes sourires,
use des mêmes enchantements tels qu’au sein des
harmonies de valeurs et de lignes, les amateurs de
beautés formelles se mettent à chanter.
Albert Gleize, peintre cubiste et technicien de la
plastique, reprochait autrefois à Picabia, au temps de
Dada, la composition et l’équilibre classiques, disait-il,
de ses oeuvres, et cela contre Picabia négateur. C’était
une charmante plaisanterie qu’il pourrait varier au
jourd’hui au sujet de Man Ray. Plaisanterie, car on
n’est pas maître de son oeuvre; elle est du domaine
public, et vit de la vie publique.
Mais on peut comprendre l’amertume involontaire
d’Albert Gleize ou de tel autre constructeur profes
sionnel pour lequel l’Esprit n’est qu'un matériau. Cest
montrer trop clairement ce qu’est la quasi-divinité du
peintre, que de jouer avec des objets et du papier
photographique et d’en tirer des tableaux dont la
beauté plastique rayonne plus éloquemment que de
telles limites qui ont cependant enclos les variations
les plus voulues et les plus savantes autour de formes,
de lignes, de valeurs.
« A quoi sert-il alors d’être un peintre, je vous prie,
Monsieur? »
A mon avis, c’est justement là que réside ce qui
sauve la Peinture. C’est qu’elle échappe toujours à
son auteur, et qu’elle impose une poésie matérielle, ou
si l’on veut, projette sur des formes matérielles une
Poésie ou qui leur impose une surréalité inévitable.
L’action de Man Ray sur la plastique reste la même,
quelle que soit la période de sa vie que l’on envisage.
Ce que je viens de dire en ce qui concerne ses photo