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Si je continue ä faire quelque chose, c’est parce que cela
m’amuse, ou plutot parce que j’ai un besoin d’activite que j’emploie
et que je depense dans tous les coins. Au fond, les vrais dadas
etaient toujours separes de Dada Ceux pour qui Dada etait encore
assez important pour s’en separer, bruyamment, n’agissent que
par un besoin de reclame personnelle et prouvent que les faux-
monnayeurs se sont toujours faufiles comme des vers immondes
parmi les plus claires et pures religions.
3e sais que vous etes venu aujourd’hui pour entendre des
explications. Eh bien, ne vous attendez pas ä entendre des expli-
cations sur Dada. Expliquez-moi pourquoi vous existez. Vous
n’en savez rien. Vous me direz: 3’existe pour creer le bonheur de
mes enfants. Mais au fond vous savez que ce n’est pas vrai
Vous direz: 3’existe pour sauvegarder ma patrie des invasions
barbares. Ce n’est pas süffisant. Vous direz: 3’existe parce que Dieu
le veut. C’est un conte pour les enfants. Vous ne saurez jamais
pourquoi vous existez, mais vous vous laisserez toujours facilement
entraines ä mettre du serieux dans le vie. Vous ne comprendrez
jamais que la vie est un jeu de mots, car vous ne serez pas assez
seuls pour opposer ä la haine, aux jugements, ä tout ce qui demande
de grands efforts, un etat d’esprif plane et calme, oü tout est pareil
et sans importance.
Dada n’est pas du tout moderne, c’est plutot le retour ä une
religion d’indifference quasi-bouddhique. Dada met une douceur
artificielle sur les choses, une neige de papillons sortis du cräne
d’un prestidigitateur. Dada est l’immobilite et ne comprend pas
les passions. Vous direz que cela est un paradoxe, parce que
Dada se manifeste par des actes violents. Oui, les reäcticns dans
les individus contamines de la destruction, sont assez violentes,
mais ces reactions epuisees, annihilees par l’insistance satanique
d’un “A quo bon?” continuel et progressif, ce qui reste et domine,
est I’indifference. Je pourrai d’ailleurs, avec le meme ton con-
vaincu, soutenir le contraire.
3’admets que mes amis n’approuvent pas ce point de vue. Mais
le Rien ne peut se prononcer qu’en tant que reflet d’une individu-
alite. C’est pour cela qu’il sera valable pour tout le monde, tout
le monde n’ayant de l’importance que pour celui qui s’exprime. —
3e parle de moi-meme. Cela m’est dejä de trop. Comment ose-
rai-je parier de tout le monde a la fois et le contenter?
II n’y a rien de plus agreable que de derouter les gens. Les
gens qu’on n’aime pas. A quoi bon leurs expliquer ce qui ne peut
interesser que leur curiosite. Car les gens n’aiment qu’eux-memes,
et la rente et le chien qu’ils possedent. Cet etat de choses derive
d’une fausse conception de la propriete. Si Ton est pauvre
d’esprit, on possede une intelligence süre et inebranlable, une
logique fefoce, un point de vue immuable. Tächez d’etre vide et
de remplir vos cellules cerebrales au petit bonheur. Detruisez
toujours ce que vous avez en vous. Au hasard des promenades.
Vous pourrez alors comprendre beaucoup de choses. Vous n’etes
pas plus intelligents que nous, et nous ne sommes pas plus in-
telligents que vous.
L’intelligence est une Organisation comme une autre, l’organi-
sation sociale, l’organisation d’une banque ou ^Organisation d’un
bavardage. A un the mondain. Elle sert de creer de I’ordre et ä
mettre de la clarte lä ou il n’y en a pas. Elle sert ä creer la hierarchie
dans l’etat. A faire des classifications pour un travail rationel. A
separer les questions d’ordre materiel de celles d’ordre cerebral,
mais de prendre tres au serieux les premieres. L’intelligence est le
triomphe de la bonne education et du pragmatisme. Heureusement,
la vie est autre chose, et ses plaisirs sont innombrables. Leur
prix ne se paie pas en monnaie d’intelligence liquide.
Ces observations des conditions cotidiennes, nous ont amene
ä une connaissance qui constitue notre minimum d’entente, en dehors
de la Sympathie qui nous lie et qui est inexplicable. Nous ne
pouvions pas la baser sur des principes. Car tout est relatif.
Qu’est-ce le Beau, la Verite, l’Art, le Bien, la Liberte? Des mots
qui pour chaque individu singnifient autre chose. Des mots qui
ont la pretention de mettre tout ie monde d’accord, qui est en
meme temps la raison pour laquelle on les ecrit avec des majuscules.
Des mots qui n’ont pas la valeur morale et la force objective
qu’on s’est habitue ä y trouver. Leur signification change d’un
individu ä l’autre, d’une epoque a Pautre, d’un pays ä l’autre. Les
hommes sont differents. C’est la diversite qui cree Pinteret de la
vie. II n’y a aucune base commune dans les cerveaux de l’huma-
nite. L’inconscient est inepuisable et non controläble. Sa force
nous depasse. Elle est aussi mysterieuse que la derniere parti-
cule de cellule cerebrale. Meme si nous la connaisslons, nous
ne pourrions pas la reconstruire.
A quoi nous ont servi les theories des philosophes? Avons-
nous fait un pas en avant ou en arriere avec leur aide? Qu’est-
ce qu’est avant, qu’est-ce qu’est arriere? Ont-ils transforme nos
formes de contentement? Nous sommes. Nous nous debattons,
nous nous disputons, nous nous agitons. Le reste est de la
sauce- Parfois agreable, souvent melange avec un ennui sans
bornes, un marecage orne des barbes d’arbustes moribonds.
Nous avons assez des mouvements, reflechis qui ont dilate outre
mesure notre credulite dans les bienfaits de la Science. Ce que
nous voulons maintenant c’est la spontaneite. Non pas parce
que’elle est meilleure ou plus belle qu’autre chose. Parce que
tout ce qui sort librement de nous-meme, sans Pintervention des
idees speculatives, nous represente. II faut accelerer cette quantite
des vie qui se depense facilement dans tous ies coins. L'art n’est
pas la manifestation la plus precieuse de la vie. L’art n J a pas
cette valeur celeste et generale qu J on se plait a lui accorder. La
vie est autrement interessante. Dada connait la juste mesure quMI
faut donner a Part) il Pintroduit avec des moyens subtils et per
fides dans les actes de la fantaisie cotidienne. Et reciproquement.
En art, Dada ramene tout ä une simplicite initiale, mais toujours
relative. II mele ses caprices au veut chaotique de la creation et
aux danses barbares des pouplades farouches. II veut que la
logique soit reduite ä un minimum personnel, et que la litterature
soit destinee avant tout, a celui qui Pecrit. Les mots ont aussi
un poids et servent a une construktion abstraite. L'absurde ne
nPeffraie pas, car d J un point de vue plus eleve, tout dans la vie
me parait absurde. II n J y a que Pelasticite de nos conventions
qui met un lien entre les actes disparates. Le Beau et la Verite
en art n’existent pas; ce qui m’interesse est Pintensite d’une per-
sonnalite, transposee directement, clairement, dans son oeuvre;
Phomme et sa vitalite; Pangle sous lequel il regarde les elements
et de quelle facon il sait ramasser la Sensation, Pemotion, dans
une dentelle de’mots et de sentiments.
Dada essaye de savoir ce que les mots signifient, avant de s’en
servlr, non du point de vue grammatical, mais de celui de la repre-
sentation. Les objets et les couleurs passent aussi par le meme
filtre. Ce n’est pas la technique nouvelle qui nous interesse, mais
Pesprit. Pourquoi voulez-vous qu’une renovation picturale, morale,
poetique, litteraire, politique ou sociale nous preoccupe? Nous
savons tous que ces renovations des moyens ne sont que les habits
succedes aux differentes epoques de Phistoire, des questions peu
interessantes de modes et de facades. Nous savons fort bien que
les gens en costumes Renaissance etaient ä peu pres les memes
que ceux d’aujourd’hui, et que Dschouang-Dsi etait aussi dada que
nous. Vous vous trompez si vous prenez dada pour une ecole
moderne, ou meme pour une reaction contre les ecoles actuelles.
Plusieurs de mes affirmations vous ont paru vieilles et naturelles,
c’est la meilleure preuve que vous etiez dadaistes sans le savoir
et peut-etre avant la naissance de Dada.
Vous Pentendrez souvent: Dada est un etat d’esprit. Vous
pouvez etre gais, tristes, affliges, joyeux, melancolique ou dada.
Sans etre litterateur vous pouvez etre romantique, vous pouvez
etre reveurs, las, fantasques, commercants, maigres, transportes,
vaniteux, aimables ou dada. Cela se fera plus tard, au cours de
Phistoire, quand dada deviendra un mot precis et habituel, et quand
la repetition populaire lui donnera le sens d’un mot organique
avec son contenu necessaire. Personne ne pense aujourd’hui a la
litterature de Pecole romantique, en qualifiant un lac, un paysage, un
caractere. Petit ä petit, mais sürement, il se forme un caractere dada.
Dada est lä, un peut partout, tel qu’il est, avec ses defauts,
avec les differences entre les gens, qu’il admet et qu’il regarde
avec indifference.
On nous dit tres souvant que nous sommes incoherents, mais
on veut mettre dans ce mot une injure qu’il rn’est assez difficile
de saisir. Tout est incoherent. Le monsieur qui se decide de
prendre un baän, mais qui va au cinema. L’autre qui veut rester
tranquille, mais qui dit ce qui ne lui passe meme pas par la tete.
Un autre qui a une idee exacte sur quelque chose, mais qui n’arrive
qu’ä exprimer le contraire dans des paroles qui sont pour lui une
mauvaise traduction. Aucune logique. Des necessites relatives
decouvertes ä posteriori, valables non comme exactitude, mais
comme explications.
Les actes de la vie n’ont pas de commecement ni de fin. Tout
se passe d’une maniere trez idiote. C’est pour cela que tout est
parail. La simplicite s’appelle dada.
Vouloir concilier un etat inexplicable et momentane, avec la
logique, me parait un jeu peu amüsant. La convention du langage
parle nous est amplement süffisante, mais pour nous tous seuls,
pour nos jeux intimes et notre litterature, nous n’en avons plus besoin.
Les debuts de Dada n’etaient pas les debuts d’un art, mais
ceux d’un degout. Degoüt de la magnificence des philosophes qui
depuis 3000 ans nous ont tout explique (a quoi bon?), degoüt de
la pretention de ces ariistes representants de dieu sur terre, degoüt
de la passion et la mechancete reelle, maladive, appliquees lä oü
cela ne vaut pas la peine; degoüt d’une fausse forme de domi-
nation et de restriction en masse, qui ne fait qu’accentuer l’instinct
de domination des hommes, au lieu de l’apaiser, degoüt de toutes les
categories cataloguees, des faux prophetes derriere lesquels il faut
chercher des interets d’argent, d’orgueuil, ou des maladies, degoüt
des lieutenants d’un art mercantile, arrange, fait d’apres les mesures
des quelques lois infantiles, degoüt de ces separations du bien
et du mal, du beau et du laid, (car pourquoi est-ce plus estimable
d’etre rouge au lieu de vert, ä gauche ou ä droite, grand ou petit?)
Degoüt enfin de la dialectictique jesuite qui peut tout expliquer et
faire passer dans les cerveaux pauvres des idees obliques et ob-
tuees n’ayant pas de base physiologiques ou des racines ethniques,
tout cela au moyon d’artifices aveuglants et d’ignobles promesses
, de charlatans.
Dada marche en detruisant, de plus en plus, non en extension,
mais en lui-meme. De tous ces degoüts il ne tire d’ailleurs aucun
parti, aucun orgueuil et aucun profit. II ne combat meme plus,
car il sait que cela ne sert ä rien, que tout cela n’a pas d’impor-