L’ŒUF DUR
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Mis au collège à l’âge de treize ans et ne pouvant m’ac
coutumer au fouet qu’il était de mode de donner avec une
règle, j’y fis la connaissance de lord Epingley qui m’en
seigna l’usage du tabac et de l’opium et qui fut mon
premier duel, rencontre où il ne vint pas et où je ne vins pas
davantage ayant décidé de faire battre nos laquais à notre
place pendant que nous jouions aux échecs ; et ce pour une
bagatelle qui n’était rien moins qu’une demi-douzaine de
filles de ferme que nous nous disputions. Une nuit donc
je m’évadai du collège des Jésuites de Saint-Loup, entraî
nant mon précepteur au bout d’une ficelle et malgré les cris
de mon laquais qui eussent ameuté les professeurs s’ils
n’avaient ressemblé plus à l’aboiement d’un chien qu’au
cri d’un domestique affolé. Après une courte équipée
dans cette nuit et dans un pays dont je n’entendais pas le
jargon, nous arrivâmes à un château où l’on jouait le paroli :
je n’ai jamais pu jouer que le lansquenet. Je perdis en un ins
tant seize ducats qui appartenaient à mon père dont il ne me *
parla jamais malgré mes instances pour lui rappeler mes torts
et me les faire pardonner. La duchesse qui venait de perdre
tous ses ducats, me prit sur ses genoux, façon que permettait
mon jeune âge, mais dont elle profita pour badiner, ne pensant
pas que j’eusse l’œil plutôt que sur sa poitrine où elle avait
une cicatrice assez dégoûtante sur celle de sa suivante, manière
de duègne assez appétissante malgré ses cinquante ans et qui
était bègue et qui avait un téton borgne. Je n’ai jamais pu
supporter les tétons borgnes ; c’est avec les gaufrettes de
Chartres ma plus grande antipathie. Inutile de dire que toutes
les femmes du château étaient attirées par mon air mutin, la
sveltesse de ma jambe et mon œil vif. J’aurais été plus loin
si j’avais eu quelque goût pour les êtres du même sexe que
moi ainsi que M. le chevalier de la Manchette qui est allié avec
Mœringen par les femmes et tire de cette pratique quelques-
uns de ses revenus, s’il faut en croire M. de *** Il n’y a de malle-
poste nulle part en Angleterre dont je fis le tour cherchant en
vain lord Wringle qui était à la chasse et pour lequel j’avais
une lettre d’introduction et fort bien tournée, de sorte que
force nous fut de voyager parfois sur des charrettes de foin suivis
de nos laquais qui s’arrangeaient avec les porte-manteaux au
bord des routes qui manquent totalement dans ce royaume.
Mais ce qui m’embarrassa le plus, c’est qu’on n’y boit pas d’eau,
et j’ai l’estomac difficile et rebelle à ce qui n’est pas mélangé
à l’eau. Ce n’est pas un des moins intéressants côtés de mon
caractère. Ceci tient à la disposition de ma vessie q ui trai
péniblement le vin pur et le rejette dans sa couleur comme