L’ŒUF DUR — 13
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Un peu plus tard, de retour à Paris, je ramenais volontiers
mes pensées vers Madeleine. Je souffrais alors de maux assez
factices dans une passion pleine de difficultés intellectuelles et
incessamment contrôlée par des réflexions livresques, pour une
jeune et belle Athénienne. Mes amitiés elles-mêmes discutées
et revisées dans d’interminables conflits me faisaient une vie
troublée d’orages intérieurs et sans issue. Je m’épris de nouveau
de Madeleine par goût d’apaisement : je me souvenais avec dou
ceur de l’importance qu’elle avait dans l’histoire de mes senti
ments et d’un autre côté, — comme entré par une porte déro
bée (cette même porte dont ma maladresse de septembre
avait ouvert le loquet) — croissait le désir de cette taille étroite
et charmante dans laquelle la volupté devait s’inscrire avec
d’imperceptibles et d’infinies répercussions, de ce front dur
sous lequel se cachait un esprit têtu et farouche qui avait subi
avec dégoût les vains examens et n’avait entassé un peu de cul
ture que pour douter de la vie et de l’amour. J’ajoute que j’étais
à cette heure gauche où, petit garçon troublé par les métaphy
siques, je chiffrais l’intérêt que je portais pour les femmes
d’après des valeurs strictement intellectuelles ou sensuelles,
et où j’oubliais, par schématisation des choses de l’amour et
par basse vanité des conquêtes féminines, ces solutions ingé
nieuses et faciles qu’apporte aux débats du cœur la fréquen
tation de ces femmes plus ou moins mercenaires, mais qui per
mettent la liquidation à bon compte, — bien que n’excluant
pas toute nuance, — des stocks sentimentaux encombrants
et peu personnels.
Un soir de décembre, travaillant à la bibliothèque de la Sor
bonne, je pensais avec insistance à Madeleine. Une pensée pesante
presque physique qui meurtrit comme une névralgie et reten
tit avec précipitation dans l’organisme, une pensée molle qui
offre peu de prise à l’analyse, endolorit sans faire réellement
souffrir, et, d’un caractère si tenace et si morbide, qu’elle égare
sur son intensité. En sortant j’aperçus Madeleine. Cette écla
tante présence acheva de me bouleverser et je me précipitai
sur ses traces. Soit hâte de prendre un tramway, soit ennui de
se sentir poursuivie, Madeleine courait et je courais aussi avec le
souci de ne pas être trop remarqué. Une tristesse lourde m’étrei
gnait. Ce boulevard Saint-Michel que j’avais si souvent arpenté
avec la joie de ma jeunesse, le goût des idées et l’assurance
de mes gestes, s’effaçait en un instant ; il allait devenir, entrevu
dans l’élan maladroit d’une course désordonnée, et souillé
par la brume de décembre, un panorama blême et indiffé
rent d’une heure bien pauvre et cependant solennelle. Je rejoi
gnais Madeleine au carrefour Médicis et je me rappelle encore