L’ŒUF DUR — 13
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habitude de prononcer ces deux phrases, c’est même à cela
qu’on le reconnaît entre Nice et Menton. J’ai donc pris un
second déjeuner avec eux : je me porte si bien ici, au milieu
des pins, de la mer et des femmes à peine sages. Pour ne pas me
croire obligé de raconter n’importe quoi, je me suis mis à crier
en dégustant une tomate crue. « Oh ! les symboles ! » Sabine
est comme ça : elle ne vit que pour les symboles. Elle seule a
parlé, et tout le temps des symboles. Je ne me rappelle plus ce
qu’elle en a dit ; mais elle est vraiment comme ça. Quand elle
trouve qu’on a l’esprit étroit, elle ouvre la fenêtre. C’est ainsi
qu’elle a tué un de nos amis, poitrinaire, qui avait eu l’impru
dence, inintelligent comme il était, d’aller la voir en plein hiver
à Copenhague.
Elle m’a retenu toute l’après-midi au Cap Ferrât. J’avais une
envie sincère d’aller me perdre dans les a-pics des rochers et
de plantes à demi-sauvages qui trempent résolument leurs
pieds dans l’eau salée. J’aime voir de près l’écume et le papillo-
tement des petites vagues au soleil. J’aime plonger mes mains
dans la mer. J’aime regarder loin devant moi sans autre obs
tacle que la lassitude de mes yeux, ou celle du monde à aller
tout droit pour que je puisse le voir très loin. Peines perdues
que tous ces amours. J’ai dû jouer au bridge. Les cartes étaient
souples, luxueuses, la vérandah aussi, et encore mes partenaires ;
mais je tournais le dos à la nature. Manoël von Ritter me
laissait jouer avec trois femmes, Suzanne et deux de ses amies. —
Suzanne, par contenance, a des amies au bord de toutes les
mers. Une de mes partenaires me sembla précieuse, Annie
Rolland. Vers quatre heures nous interrompîmes le jeu. Des
violons, des tasses de thé fumantes, des Parisiens ceintrés, des
courtiers de Marseille à la lèvre lippue et à l’air de tout avoir
dans la poche, et des femmes puant l’ambre et le Chypre enva
hissaient la vérandah : l’heure de la danse et du rêve. Annie
Rolland, se levant, me sourit avec beaucoup de douceur. «Vous
dansez ?» — « Oui, au coucher du soleil, cela ne manque
pas d’antiquité. » Le premier violon, de temps en temps nous
demanda sa route. De vieux Ecossais nous prenaient pour le
couple exhibition de l’endroit. J’écoutais Annie, mais elle ne
parla pas. Après la dernière dissonance, seulement, elle a
ouvert la bouche : « Commandez deux glaces, je vous prie,
et appelez-moi Annie. Nous sommes déjà de trop vrais amis
pour mettre des lieux communs entre nos noms et nous. » —
« Vous avez raison, Annie, mais après vos glaces nous aurons
envie d’une courte promenade. »
Quand nous sortîmes, les pins tordus et les aloès essayaient
des poèmes chinois, en noir sur or pourpré. L’odeur saline de