L’ŒUF DUR
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cependant qu’au creux de sa cuirasse renversée, piquée d’un
reflet incarnat de la braise, s’entassaient des feuilles de mu
sique.
Il n’avait pour lui faire vis-à-vis, sur le mur nord du salon
carré, rien qu’un monsieur gras, à houppe et triple cravate,
au frac brodé alourdi de croix et de crachats peints en jus bitu-
meux : Adalbert d’Ollioules, prince de Damiette par son père
le général rallié à Bonaparte, et grand oncle de la duchesse
douairière de Montjoye.
Après, on ne comptait plus pour compléter la galerie des
ancêtres que des photographies. Un Sylvain de Montjoye,
capitaine aux Zouaves Pontificaux ; un Roland de Montjoye,
costumé en brigand de distinction tenant la sierra pour Don
Carlos ; le petit Didier de Montjoye, l’enseigne joli comme
un mousse, aide de camp de l’amiral Courbet et mort de la
fièvre à Formose. Ah ! avant lui, sur l’écran pompadour, l’excen
trique Sylvain Montjoye-Dorith ! Montjoye l’Américain, Mont
joye le Planteur, Montjoye le Pendeur ! disait-on de l’autre
côté de la mare aux harengs et qui s’était fait pardonner son
démocratisme en le niant presque lorsqu’il fit si furieusement la
guerre au général Grant, sous la bannière sudiste. D’une bien
plaisante férocité, d’une cruauté toute joviale, l’enfant perdu
des antiques Montjoye, avec sa petite casquette galonnée à
visière carrée, ses lèvres roses, son collier de chimpanzé et,
sous des sourcils broussailleux, ses yeux clairs, fixes, gelés et
transparents, remplis du tourment des nègres à l’échelle de
supplice.
C’était, enfin, un portrait du chef de bataillon Léopold
Andujard, de l’état-major de la Garde nationale, du candidat
Andujard en grand uniforme de préfet de Police ; un autre de
Mgr Andujard, évêque de Tarbes, frère du préfet, enfin, enri
chi d’une dédicace cordiale, le portrait du président Sadi Carnot
qui n’était point de la famille.
A la salle à manger hispano-moresque (tellement 1878 !)
se trouvait reléguée l’effigie du duc Alexandre. L’étrange
image d’un homme singulier ; le chef-d’œuvre d’un avorton de
génie. Henri de Toulouse-Lautrec avait peint le duc en capi
taine de mauvais sujets, en plongeur à cheval dans le décor
discrédité de la Grenouillère. Maillot blanc découvrant les bras
musclés au-dessus des coudes, botté, monocle à l’œil, fumant
le cigare, étendu sur l’herbe de la berge et suivant sans envie
les mâles efforts des rameurs ses camarades, d’un regard expri
mant, comme aucun peintre avant Lautrec n’y parvint, la
vaste majesté de l’ennui intelligent. Au second plan, la bonne
tête du père Fournese et l’esquisse brillante d’un bal de cano-