L’ŒUF DUR — 13 
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Andrée, très jeune, mais avec peu de grâce et de mesure, m’évitait 
toute réponse : « Je vous prie, Monsieur, de me pardonner si 
je ne vous connais pas encore, mais j’ai eu, ces jours derniers, 
trop de travail. Les ouvriers nous minent avec leur loi de huit 
heures, et moi, de cette bourgeoisie tant accusée et honnie 
par eux, je peine immensément à surveiller tous mes apparte 
ments. J’ai une maison à Paris, une villa à Dinard, une à Aix- 
les-Bains ; j’en construis une ici. Nous devrions avoir un roi et 
des canons pour ramener les ouvriers à l’obéissance. Depuis 
une semaine ils ont l’air de souder des tuyaux sans qu’une 
seule des conduites d’eau à établir soit terminée. Inimaginable, 
n’est-ce pas ? inimaginable 1 Et l’Allemagne ne paie pas ! » 
Je supposai qu’elle avait dans l’esprit aussi peu de stabilité 
que de retenue et lui vantai sa robe, ce qu’elle accepta avec 
un sourire condescendant. 
Suzanne, devant nous, avait retrouvé von Ritter qui maniait 
nonchalamment trois ou quatre journaux encore pliés. Alors, 
parlant de la couleur bleue de la mer, du programme des casinos, 
et de la tournure des promeneuses, nous allâmes d’un bout de 
la promenade à l’autre et revînmes sur nos pas avec une lenteur 
qui attendait midi. Prié à déjeuner je me couvris d’une invi 
tation antérieure car je ne tenais pas à aller au devant d’Annie, 
et l’on m’abandonna sans insister. 
Lundi matin. 
Je demeurai seul jusqu’au soir, je me promenai lentement 
par les rues et les routes aussi loin de moi-même que je le pou 
vais. Mais je ne sus plus de quel cercle je demeurai le centre. 
Il n’y avait plus de femmes, plus d’hommes, mais des formes 
singulières et isolées. Les mots me demandaient leur sens et la 
relation de leur sens à leur son et tour à tour bourdonnaient 
à mes oreilles jusqu’au moment où ce n’était plus qu’un bruit 
de cloches sourdes. Puis le bruit redevenait son, toutes les formes 
se rejoignaient, mon cercle se confondant avec son centre, 
«Annie ». Je trouvai ce jeu dangereux et retournai à l’Outre 
mer. Là, je pris des livres sur ma table et les abandonnai à 
tour de rôle sans même les ouvrir et c’était nu. 
« La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres » 
avec la tentation de courir à Cannes vers l’abbaye dans l’île. 
L’Eccésiaste eût pu me laisser le même cri ; mais Mallarmé, lui, 
voulait partir. Il y aurait eu des bateaux dans le port, aux 
mâts plein de soleils couchants qui invitaient au voyage vers 
les Indes, le Japon. Là-bas, je n’avais le choix qu’entre Loti et
	        
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