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L’ŒUF DUR — 13
Toulet, à moins que, — mieux — il n’y eût à Yokohama. —
je savais que c’était à Yokohama parce que je prenais toujours
ce nom de ville quand je jouais à la « poste court », — une jeune
femme qui, de voir un jour mon image, avait rompu par câblo
gramme avec le japonais mon voisin. Mais un coup à la porte
me délivra de tout exotisme. Annie était là et voulait me parler.
« Vous êtes mauvais coucheur, parce que je vous renvoie
avant le dîner, vous ne venez pas me rejoindre au concert au
milieu des ombrelles, des robes claires, et des pythers-porum».
Elle m’énervait ; je le lui dis poliment. Elle devint aussitôt
une petite douceur. Nous dînâmes ensemble, puis allâmes au
cinéma. Douglas sourit ; sauta, cogna, sourit, cogna, sauta,
sourit. Annie demeurait silencieuse très près de moi. Je ne pou
vais supporter ce silence. Je lui racontai la grande part qu’a
vaient eue les vachers et le cinéma aux heures de mon enfance
et même de ma jeunesse. « Il n’y a pas si longtemps, lui disais-je,
que je connais un peu Racine et que je vais au Vieux-Colom
bier ». Douglas souriait toujours, le piano et le violon recom
mençaient la marche turque de Mozart. Annie me serra les
doigts. « Vous devez prendre la nuit pour le jour et inversement.
Ne comprenez-vous pas que vous devez vous taire ? » Quand
nous quittâmes le cinéma après un peu de rire, puisque Douglas,
contre votre opinion, est drôle, elle me laissa vite pour joindre
à temps la voiture de sa mère. Je crois la retrouver dans une
heure et passer la journée avec elle, mais j’ai voulu partir le
matin. Annie et d’autres comme elle n’ont pas de perversité,
ni de sensualité, ni le goût du plaisir. Mais elle imagine et parle
et s’imagine agir comme si elle en avait. Tout cela ne traîne
qu’un peu de dégoût, et un peu de ridicule pour l’homme même
jeune qui se prête à ces jeux. Voilà ma méditation de la nuit.
Mais un violoneux, au pied de l’hôtel jouait amoureusement
la sérénade de Toselli. Promesses fades, fourrures enlevées,
mais un peu de thé avant avec du chloroforme. On recom
mencera demain. Vraiment, je ne connais pas encore Annie :
Pourquoi déjà m’emballer ? Il sera temps plus tard, n’est-ce
pas mon amie ?
Je vous demande pardon, mon amie. Annie m’appelait par
la croisée et j’ai interrompu ma conversation avec vous pour
lui répondre. Elle me demande de descendre la rejoindre. Vous
me permettez, n’est-ce pas, de clore aussitôt cette lettre : je
vous en enverrai une autre demain.