L’ŒUF DUR — 13 
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Lettre à. Mardi matin. 
Je ne vous écris pas de 1’ « Outre mer »; je suis venu passer 
mes deux dernières nuits et mes deux derniers jours de repos 
au Cap Ferrât. J’ai encore avec moi toute la poussière et tout 
le soleil de ma route d’hier dans la montagne. Mes yeux lavés 
et relavés rougissent encore de l’une et de l’autre... Vous ne 
connaissez pas d’autre double-fond à Nice que les sapinières 
de Peiracave. Il y a, à l’occident, les derniers promontoires 
des Alpes basses, relevés d’un coup de pouce un peu rude, 
tout rocheux et blancs comme sile soleil, à trop y traîner, y avait 
laissé de lui-même. C’est vers eux que nous allâmes, Annie et 
moi. Une tortue devenue train comme une citrouille carrosse 
nous mena, d’abord à leurs pieds. Nous voulions le plus beau ; 
nous l’avions amoureusement élu. Au village qui repose au 
bas de ses à-pic, nous arrêtâmes un moment notre course jusque- 
là silencieuse. Puis nous suivîmes la trace des chèvres en devi 
sant. Nous devions découvrir nos philosophes. Et, nous inter 
rompant pour humer l’air des bruyères ou crier notre admira 
tion des campagnes et de la mer lointaine, nous nous racon 
tâmes l’un à l’autre ce que nous pensions du monde et de nous. 
« Voyez, disait Annie, comme la matière va toujours courant. 
Ici, l’eau creuse un roc. Là, une pousse de romarin s’étend et 
se répand dans l’air et, suivant un rythme incessant, ces mon 
tagnes et ces plaines s’abaissent, s’élèvent, s’évanouissent et 
renaissent. Rien qui demeure en elles ou qui se fige. Mais l’âme, 
Jean-Pierre, quelle stagnation. Nous sommes semblables à 
nous-mêmes in vitam æternam. Rien en nous qui change, qui 
ne soit matière. Et dès que nous renvoyons de nous l’illusion, 
dès que nous ne voulons plus nous accrocher à la durée des 
choses, nous reconnaissons l’immobilité spirituelle de cette âme 
que la matière un jour créa, mais où elle ne veut pas se laisser 
prendre. Oui, mon pauvre Jean-Pierre, nous demererons là, 
et tout s’en va. » 
— « Ces mots, Annie, et ces méditations ne vous vont pas. 
Vous auriez dû avoir d’autres idées. » 
—- « Taisez-vous, Jean-Pierre, ou ne parlez que pour vous, 
mais ne me dites pas ce que j’eus dû vous dire. » 
Je réprimai mon sentiment et découvris ma pensée. « Le 
monde, Annie, est une caverne très étroite et s’ouvrant tout à 
coup sur une salle où reposent des femmes et des trésors déli 
cieux. La sortie de la caverne donne sur le néant paré de l’il 
lusion du jour et du soleil. Nous nous pressons vers cette sortie 
avec des mots et des mouvements malins jusqu’à la tuerie.
	        
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