L’ŒUF DUR
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poche, de la maîtrise, et d’un geste bref il avait appâté la fille,
conclu le marché et emmené Jeannine dans son petit appar
tement de journaliste. Elle l’avait suivi, obéissante et lasse,
un peu écœurée par cette manière qu’il avait eue d’afficher
sa condition de femme publique, un peu surprise de ce silence
assuré, de cette négligence des étapes menteuses et des fadeurs
consacrées, mais surtout pleine de respect pour cette volonté
prompte à s’exprimer et à commander.
La nuit s’écoula, rapide et heureuse. A jamais elle martela
l’âme de Justin Porchère ; et, un instant, Jeannine put respirer
des parfums d’une volupté saine, revivre de vrais bonheurs
d’amoureuse dont ses clients habituels, grêles ou pervers, l’avaient
toujours sevrée. Justin, ses besoins satisfaits, n’avait jamais
jusqu’ici cherché à approfondir les mystères de tendresse intime
qui entourent l’acte de chair et la médiocrité comme l’égoïsme
de ses amies l’avaient accoutumé à une froideur morose dans le
plaisir et à une véritable solitude des corps enlacés ; devant
Jeannine, dans l’heureuse fatigue d’une nuit jeune sans obscé
nités pauvres comme sans mélancolie, mais toute papillottante
de frémissements, d’émotions douces, il devina une ingéniosité
tendre, une bonne volonté familière, modeste, presque frater-
elle, dans sa maîtresse d’un moment, et, sur les fantaisies
mêmes de leur sensualité planait une gravité apaisante et sou
riante. Jeannine, émerveillée de cette force et de cette igno
rance de son amant, remontait vers des pensées plus fraîches,
des joies charnelles plus pures, et retrouvait sa destination
naturelle d’initiatrice humble et joyeuse.
Quand Justin Porchère s’éveilla au matin devant le soleil
qui jouait à travers les rideaux de sa chambre, il lui sembla
que d’innombrables duretés qui avaient retenu et fripé sa vie,
se fondaient : une fluidité insoupçonnée s’agitait en lui : par
la grâce de cette nuit vénale, il avait aimé.
II
Justin reprit sa tâche quotidienne, mais désormais quelque
chose d’indistinct et de brisé grondait au dedans de lui ; et les
assises sur lesquelles reposaient sa vie étaient ébranlées. Ces
heures charmantes et fortes qu’il avait passées avec Jeannine
provoquaient d’indéfinies résonances et cependant Justin n’avait
pas cherché à renouveler cette expérience : elle s’était présentée
à lui à la fois comme définitive et incomplète ; elle avait réveillé
un instant l’activité de tout un vaste clavier d’effusions que
Justin ignorait, mais, cette première symphonie une fois jouée,