L’ŒUF DUR — 14
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Dans les pièces d’eau, les poissons se soulevaient avec la compli
cité des cygnes. Les chiens libres s’accouplaient à l’ombre des
réverbères, puis s’agençaient des chenils sous les fusains avec
des pétales de roses. Les colombes tombèrent dans la débauche,
et les ânons même forniquaient. Les herbes folles fraternisaient
dans les plates-bandes avec les sages. Les fourmis se préparaient
pour les grandes invasions. Les chats, repus de merles, se léchaient
respectueusement les pattes, assis sur les épaules des statues,
Il vint des mulots, des lézards, des vers de terre et des pies.
Un pullulement de moustiques dévorait le soleil. La terre fré
missait d’une vie intense et nouvelle. Et il ne laissa pas de se
glisser dans ce nouveau Paradis quelque calme serpent bleu,
dardant sur le vide ses immobiles yeux d’or.
Et Eve ?...
La voici !
Elle se tient debout devant le bassin maléfique où elle effeuille
une rose d’infante. Elle est pâle et maigrichonne, avec un nez
bourbonnien et des poignets d’argent.
Je l’aborde, et elle me conte son histoire :
— Elle s’appelle Conception, mais est peu immaculée. Son
amant vient de mourir (du choléra naturellement) et elle craint
que l’enfant qu’elle porte dans son sein ne soit lui-même enclin
à l’affection paternelle. Pour tout dire, elle cherche une... com
ment dirai-je ?... une avorteuse. Mais elles sont toutes mortes
dans l’accomplissement de leurs fonctions. Je ne puis jouer
moi-même les rôles tragiques !... Conception m’enchante par
cet air de parodie qui lui sied tant lorsqu’elle écarte en triangle
les traits de sa bouche pour un sourire sans vergogne. On dirait
un lézard vertical. Elle m’offre des pistaches, et je lui donne des
douros. Du coup, elle m’accable de ses pistaches, qu’elle sort
de sa robe. Je les mange docilement dans sa main. Une main ?
si l’on peut dire ! C’est une conque de nacre, une coquille d’écaille,
un vase de porcelaine, une vasque de marbre, etc., etc... Concep
tion sourit en regardant son ventre. Elle avale les douros et
gigotte en fredonnant un air obscène. Bientôt, je succombe sous
les pistaches. Je pleure et je casse mes genoux. Bref, je me jette
à l’eau !
— Conception !
Je revins souvent devant ce bassin obscène. Conception n’y
était plus. Elle était morte le soir même dans mes bras) pas
d’amour, du choléra, quoi !). Je faisais vingt-cinq fois le tour
du bassin, puis je m’arrêtais, je faisais le signe de la croix. Je
fouettais l’eau avec ma canne, et je crachais dedans.
Les jours de fatigue, je m’asseyais sur la margelle, et avec
mon doigt je faisais des ronds dans l’eau.