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ART POÉTIQUE
« RÉCURE LE MONDE »
Paul Dcrmée
La nébuleuse de Laplace est entrée dans
ma chambre. Sans douté par les interstices de
de la fenêtre ou le tuyau du lavabo. Je souffle
et elle s’en va lentement. Ma tête en est imbi
bée comme une éponge. Mais je ne peux pas
presser ma tête. C’est un caillou. Je crois
qu’hier, j’ai fumé beaucoup de pipes.
La petite femme nue regarde toujours son
derrière dans une glace. Curiosité mal placée.
Elle ne sait peut-être pas à quoi ça sert. —
Molière, ta troupe est passée par là : Scar-
ron a laissé son manteau accroché à tous les
murs. S’il y avait des pas au plafond on se croi
rait en hiver. —
Le café noir dans le petit pot blanc fait des
bavures jaunes. Dans mon bol, il est comme
une prunelle agrandie d’épouvante, car je vais
le gober d’un seul coup.—
Il paraît que tu veux essayer. Ça n’est pas
du tout difficile. Il suffit de t’en retourner à
petits pas vers le temps où tu te mettais tes
doigts dans ton nez. Voilà. ” Récure le monde?”
Non, récure-toi, toi-même ; Il y a trop de pous
sière et de toiles d’araignées dans les coins.
C’est malsain. Ça sort parles yeux et les oreilles
et ça les bouche. Nettoyage par le vide.
Après cela, hallucine-toi de réel.—
C’est la cavalcade avec ses chars en carton
ses géants de bois et sa parade de foire. Les
hommes sont peints par Picasso et les femmes
par elles-mêmes. Ils essayent de gonfler des
trompettes et de crever des peaux de tambours
sans pouvoir y arriver — Quand il passe un en
terrement personne ne se découvre et les gémis
sements des pleureuses se mêlent au fracas de
l’orchestre. Ça fait une cacophonie très mo
derne. —
Si on te lance des serpentins, tu écriras
dessus tes poèmes en morse comme des dépê
ches télégraphiques. —
Dans tout ça n’oublie pas la cuisine pour
tous : —
” Recette pour accommoder le Bourgeois :
« Prenez-le gras et pansu ; de préférence nou
veau riche. Dites-lui que vous allez l ’initier à
l’art nouveau. Pendant trois heures, bombar-
dez-le de cubes et de rhomboèdres. Entortillez-
le de vos périodes. Farcissez-le, massez-le ;
oignez-le de votre prose. Quand il tournera de
l’œil et suera la graisse par tous les pores,