ÇA IRA !
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Que te feront demain les choses d'autrefois
Enfonce-toi discrètement dans la nuit brune
Va, cours, sans regarder les choses que tu vois,
Et meurs, en trébuchant sur un rayon de lune.
Et quand Pierrot mourra de n’avoir pas vécu
Tous les nuages blancs berneront dans leurs toiles,
Toujours plus haut jusqu’à ce qu’ils ne pourront plus
L’âme du blanc Pierrot tirée à quatre étoiles.
Paul NEUHUYS.
Du vrai et du faux
Expressionnisme
C’est chose vraiment amusante que
de constater la confusion qui règne
uniformément — même parmi la partie
la plus éclairée du public — au sujet
des tendances actuelles de la peinture.
L’opinion courante se complaît dans
l’idée qu’à l’impressionisme a succédé
une multitude d’écoles nouvelles, ayant
chacune son but propre et bien déter
miné et se combattant toutes dans un
chaos inextricable. Aussi ont-elles toutes
été baptisées de vocables différents,
généralement mal choisis, et dont le
nombre et l’obscurité font qu’ils sont le
plus souvent cités à tort et à travers et
sans que leur sens exact soit pénétré.
Ce qui ne saurait d’ailleurs étonner, car
à l’heure actuelle les termes “cubisme,,,
“ futurisme „, “ expressionnisme „, par
exemple, n’ont plus du tout cette signi
fication précise qu’ils pouvaient avoir
il y a quelques années, lorsqu’ils ser
vaient à déterminer les mouvements qui
s’étaient produits simultanément en
France, en Italie, en Russie et en
Allemagne. Aujourd’hui, ces théories
artistiques — divergentes seulement en
apparence — ne sont plus que les mani
festations parallèles d’une même forme
d’art.
Ce qui constitue la véritable essence
de celle-ci, nous avons plusieurs fois
tenté de le définir. L’expressionisme (si
nous adoptons ce terme de préférence
à celui de “cubisme,,, destiné au début
à n’être qu’un quolibet) ne se borna pas
à une transformation de la technique
picturale mais amena un bouleversement
total dans la conception même que le
peintre se faisait de son art. A l'artiste
spontané et inconscient de jadis, dont
les sens s’émouvaient passivement au
contact des apparences les plus immé
diates de la nature, il substitua un être
humain doué d’une vie intérieure plus
intense et dont les facultés créatrices
répugnèrent à se limiter à une vaine
besogne de reproduction.
Certains ont prétendu qu’en évoluant
ainsi, le peintre nouveau sortait de son
rôle et se fourvoyait dans le domaine
de la métaphysique. Cette accusation
est basée sur une fausse compréhension
du but poursuivi et des moyens
employés pour y atteindre. Il ne
s’agit pas pour le peintre moderne de