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nouveau et qui l’aient exprimé dans leur
œuvre, poussés par une irrésistible néces
sité. Les autres n’ont fait qu’emprunter
à l’expressionnisme quelques-unes de
ses innovations techniques, sans par
venir à s’en assimiler l’esprit. Dans le
fond, ils sont restés des impressionnistes
authentiques, choisissant leurs sujets au
hasard dans la réalité qui les entoure et
les reproduisant fidèlement quant à leur
aspect général, dont ils se contentent
de détruire plus ou moins les apparences
linéaires. Ils parviennent ainsi à donner
à leurs toiles un semblant de modernité
qui leur est un suffisant sujet de satisfac
tion. Le pointillisme des néo-impres
sionnistes, ils l’ont remplacé par une
décomposition en de nombreux plans
limités par des contours rigides et
recouverts de couleurs simples, formule
tout aussi conventionnelle si elle est
adoptée uniquement pour donner le
change et masquer une complète absence
de conception neuve. Ce qui manque à
ces faux expressionnistes, c'est la pierre
angulaire du nouvel art plastique, la
forte vie intérieure, à côté de laquelle
la virtuosité et le talent ne sont que des
moyens d’une importance secondaire.
Malgré cette différence essentielle
dans la conception qui sépare les deux
formes de l'expressionnisme, l'opinion
commune les confond cependant, dans
une complète méconnaissance de leurs
buts respectifs : dans les deux tendances
elle se contente de voir un art unique,
qui s’est plus ou moins dégagé de la
tyrannique soumission à la nature pour
atteindre plus facilement à l’équilibre et
à l’harmonie plastiques. C’est cette
appréciation sommaire qui est également
cause de ce que l’on a accusé l’expres
sionnisme de n’avoir que des qualités
exclusivement décoratives. Jugement
injuste s’il en fut et qu’il est regrettable
de voir partager non seulement par le
public intelligent, mais également par
ceux qui font profession de l'éclairer,
les critiques d’art. Et ici nous ne parlons
évidemment que des plus lucides et des
plus sincères d'entr’eux, ceux qui se
refusent à ne voir dans l'art nouveau
qu'une mystification et qui daignent
l’examiner avec loyauté et bienveillance.
Hélas, malgré leur bonne foi, ils ne font
qu’accroître la confusion en essayant de
prétendre que ce faux expressionnisme,
dont nous avons dénoncé le vide et qui
a hérité des pires tares impressionnistes,
constitue un progrès sur l’autre, le vrai,
et en est l’aboutissement logique et
supérieur. De plus, pour mieux opposer
les deux formules, ils ont pris la coutume
arbitraire de n’appliquer le vocable
“expressionnisme,, qu’à cet impression
nisme camouflé qu’ils défendent, tout
en traitant le véritable art expression
niste de “cubisme théorique et abstrait,,.
C’est ce que fait entre autres André
De Ridder, dans la brochure qu’il a
consacrée au peintre français Le Fau
connier et également dans les articles
qu’il publie actuellement dans L'Art
Libre sur Gustave De Smet. De Ridder,
au cours de pages enthousiastes, pro
clame ces deux artistes grand maîtres
du mouvement expressionniste, et cela
précisément parce qu’ils revinrent à la
nature, qu’ils se contentèrent de “ sty
liser „ — pour ne pas encourir le reproche
de la reproduire servilement. Au lieu de
partir d'un concept, comme le firent les
cubistes, ils adoptèrent à nouveau la
méthode impressionniste en partant