vous remercier jamais des minutes inef
fables que m’a données la sensation de
votre génie tourmenté.
Georges MARLIER.
Les Poètes contre la guerre
Le “ Sablier „ édite, sous forme d’an
thologie, l’œuvre de poètes que “ leurs
sentiments, leurs idées, et aussi leur
clàirvoyance ont conduit, sinon à flétrir
publiquement la guerre, du moins à en
mesurer toute l’ignominie. „ Ce recueil,
publié avec soin et orné d’un bois fron
tispice par notre ami Frans Masereel, a
été préfacé par Romain Rolland, qui
caractérise, en quelques lignes, chaque
auteur et chaque talent.
La paix morale n’est pas encore en
nous. Sans nouvelles du monde et
privés essentiellement de liberté, nous
avons bu le calice jusqu’à la lie. Nous
avons pu contempler nos ruines ; nous
avons vu mener au cimetière mille
pauvres ; nous avons ou la lâcheté, la
charité, l’héroïsme, le stoïcisme ; en
quatre années, les vertus antiques ont
toutes vécu en nous. Cependant, la
guerre est finie. Nos musées, nos hum
bles églises n’ont pas été reconstruits ;
l’herbe pousse dru où furent enterrés,
pêle-mêle, les bourgeois d’Aerschot.
Flandre et Wallonie sont convales
centes. Elles sortent à peine du piège
horrible que l’impérialisme mondial leur
a tendu. La lumière a jailli brusque
ment. Nous sommes assoiffés d'amour.
Nous avons trop souffert, nous avons
trop pleuré, nos cœurs se sont tu si
longtemps, que l'Amour est notre joie
et notre consolation. Coudoyant des
bourreaux et des anges, nous avons bu
du ciel et mangé de la boue. La guerre,
que n'avions point demandée, nous a
meurtris. Nous nous sommes défendus,
et voulons que pareil assassinat ne se
commette plus. Nous sommes dégoûtés,
profondément dégoûtés, de la guerre ;
nous avons confiance en l'humanité et
sommes persuadés qu’elle ne laissera
plus, inutilement, deux peuples, — deux
hommes ! — se tuer pour la possession
du sol et la domination des mers. Le
ciel appartient à tous ; le sol, la mer,
leur appartiennent. Comme le dit Arcos
le seul drame est la passion de Ninivers.
Nous, jeunes que l’on ne voudra pas
entendre, jeunes qui ne voulons plus
servir le crime, nous voulons être libres,
et manger honnêtement notre pain que
nous accorde notre travail. Et nous ne
le pourrons qu’en nous aimant, qu’en
nous tendant les mains, dans un même
désir de paix. Confondre les cœurs !
Nous prévoyons les objections. Sans
réfléchir, on nous accusera de défai
tisme ; on nous injuriera cent fois, et on
nous reprochera l’oubli des morts.
Nous répondrons.
Les morts vivent. Ils sont tombés,
glorieux de sacrifice. Ils se sont offerts
pour la victoire du bien sur le mal. Il ne
faut pas que leur sacrifice ait été vain :
le bien écrasera le mal. Les morts vivent
en nous ; nous honorons les cadavres
avec enthousiasme; nous nous inspirons
d’eux pour défendre le bien.
Les morts sont tous d’un seul côté !
Ils symbolisent notre douleur. Aux
vivants de symboliser notre amour.
Nous sommes sourds aux injures. Les
défaitistes sont ceux qui insultent aux