56
ÇA IRA !
et nous nous excusons de cette simple citation
auprès du lecteur. W.K.
*
* *
Les Indépendants (1884-1920), par Gustave
Cocquiot, Paris, Librairie Ollendorff.
C'est une tentative audacieuse qu’essayer
d’écrire, à l’heure actuelle, un livre sur les
membres les plus importants de la Société des
Artistes indépendants. Car, c’est vouloir dé
crire le dernier quart de siècle de l’histoire de
la peinture française, c’est-à-dire, une période
extraordinairement agitée, dont le tumulte n’a
fait que croître au cours de la dernière décade
et qui a fini par aboutir au chaos actuel. Celui-
ci est dû probablement au caractère transitoire
du stade de développement qui a été atteint et
c’est ce qui rend l’analyse de ce moment de la
peinture française d’autant plus hasardeuse. Il
est difficile de critiquer un mouvement qui
s’est encore incomplètement manifesté et d’en
tirer des conclusions.
C’est cette difficulté que M. Gustave Coc-
quinot, dans le livre qu’il vient de consacrer
aux “ Indépendants „, n’est pas parvenu à
surmonter ; disons même qu’il n’a pas osé
l'aborder de front. Il s’est borné, après avoir
rapidement exposé les origines de la Société,
à réunir de brèves notices sur les différentes
personnalités du Groupe. Son ouvrage em
prunte ainsi les allures d’un dictionnaire, tous
les noms cités étant groupés par tendances et
par ordre alphabétique — pour ne froisser
personne....
Il est superflu de faire observer ce que pareil
classement a d’artificiel et de dispersé, alors
qu’il eut été si simple de ne considérer que les
deux tendances essentielles, l’impressionniste
et l’expressionniste, à l’une desquelles tout
peintre moderne peut être rattaché.
Les jugements que M. Cocquiot émet sur les
artistes qu’il passe ainsi en revue sont parfois
assez superficiels. Ce sont ceux de l’amateur,
qui aime “ le moderne ,, mais qui n'en apprécie
que le côté extérieur, dont la nouveauté le
charme. Presque toujours, d’ailleurs, l’auteur
dose ses critiques d’après la plus ou moins
grande satisfaction de sa rétine, sans se préoc
cuper d’une jouissance plus élevée. C’est ce
qui est cause de l’injustice de certaines de ses
appréciations et lui fait dénigrer, par exemple,
de façon excessive les œuvres austères et âpres
des peintres néo-classiques et cubistes. Il leur
préfère les derniers adeptes de l’Impressio-
nisme “ qui aiment tout bonnement chanter, se
gargariser des couleurs comme on le fait des
notes, et qui n’en sont pas encore au charabia
scientifique, à l’exégèse des formes, à la cons
truction super-géométrique des plans, aux
trouvailles de la perspective sentimentale, aux
conflits picturaux et à l’arrangement des
panoplies. „
On le voit, M. Cocquiot est encore de ceux
qui sont convaincus que le cubisme n’est
qu’une vaste mystification, un colossal bateau,
auquel se sont laissés prendre quelques gobeurs.
Pour lui, Pabîo Picasso n’a guère recruté “ que
de bas huiliers, que d'indigents balourds à
peine sortis des mamelles ! „ En tout cas, s’il
en était ainsi, nous pourrions nous vanter
d’avoir assisté à un phénomène unique dans
l’histoire du monde, car peut-on concevoir
chose plus extraordinaire qu’une mystification
qui dure plus de dix ans et qui, quoiqu’en
puisse penser M. Cocquiot, n’est pas encore
près de finir ?
Pour le surplus, le livre est écrit avec beau
coup de verve, encore que cela lui confère
souvent un caractère quelque peu hâtif. Bien
entendu les anecdotes ne manquent pas et bon
nombre de pages contiennent d’amusantes
évocations de souvenirs — souvenirs généra
lement pittoresques et précis, l’auteur ayant
assidûment fréquenté les milieux dont il nous
parle.