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y ait eu des victimes, qu’il y ait eu des
victimes innocentes ! — Et à qui la
faute ?
Faut-il en adresser le reproche à ceux
qui se trouvent à la tête du mouvement
populaire ? Evidemment non, car peut-
on rendre responsables ceux qui dirigent
la Révolution, de quelques forfaits com
mis par un peuple ayant enfin rompu
l’entrave, ivre de liberté enfin ? Ensuite,
ces crimes, tout regrettables qu’ils sont,
n’étaient-ils pas d'une impérieuse néces
sité ? Car ne fallait-il pas à tout prix
défendre la jeune liberté, si vaillamment
conquise, contre ceux qui voulaient sa
mort avec le rétablissement du régime
d’oppression ?
Nous ne songeons guère à excuser les
excès commis par les Gardes-Rouges,
mais à les expliquer simplement.
Si l’on condamne, si l’on jette la pierre
à ce peuple qui lutte pour la conquête
de ses droits, quel pan de roc immense
ne devrait-on lancer à la face de ceux
qui, pour de méchantes raisons d’intérêts
économiques, ont, pendant près de cinq
ans, conduit la guerre des mondes ! Si
l’avènement du Quatrième Etat a coûté,
en Russie, quelques centaines de victi
mes, que dire des douze millions de
pauvres diables qui ont trouvé la nfort,
directement ou indirectement, par suite
de cette ** belle „ guerre ! Et deux des
plus beaux pays de la terre, — la
France et la Belgique, — dévastés,
ruinés, coulés ! Et les populations d’Eu
rope centrale, à l’heure actuelle, hurlant
la faim comme un vieux chien ! Et la
génération future, une génération de
semi-crétins, affaiblie par les jeûnes
trop longs, les nerfs ébranlés par les
trop fortes secousses ! L’énumération
est triste et longue, mais implacablement
juste ; et disons tout de suite qu’à côté
d’elle les “ atrocités bolchéviques „
doivent paraître peu de chose....
*
* *
Pourquoi la Révolution du prolétariat
s'est-elle produite en Russie d'abord, et
semble-t-elle vouloir passer en Allema
gne ? Est-ce pour donner raison au
vieux dicton qui prétend que toujours
le progrès marche de l’Est vers l’Ouest?
Ou n’est-ce pas plutôt parce que les
révolutions éclatent là où l’oppression
est la plus grande' et la misère du peuple
la plus noire? Est-il étonnant que le
Russe, si rêveur et si indolent sinon, ait
été le premier à se libérer de son joug ?
Non, car le Russe était le plus misérable
des hommes : outre 1 la tyrannie des
Romanovs, qui l'étouffait il fut entraîné
dans une guerre immense ; sans armes,
on l'obligea de se livrer à l'assaut de
positions fortifiées avec toutes les res"
sources de l’art de tuer contemporain.
Et que devait-il se passer, dites* dans
la tête du pauvre moujik, arrivé enfin
dans la tranchée ennemie, brandissant
son gourdin et victorieux, mais voyant
derrière lui les milliers de cadavres
qu’avait coûtés la victoire ? Pauvres
camarades mutilés et déchiquetés ! Et
s'étonnera-t-on, alors du mouvement de
révolte qui passa, comme un frisson, sur
la Russie entière, frisson avant-coureur
du triomphe de la Révolution et de l’avè-
vement du Quatrième Etat, dans le
monde entier.
Ce frisson semble vouloir passer en
Allemagne. En ce pays encore la misère
est grande, et immenses sont les souf
frances de la classe des travailleurs.
Ayant supporté pendant toute la durée