Volltext: Ça ira (6 = 1920, septembre)

ÇA IRA ! 
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les émotions les plus intimes que lui 
suggère la vie. Et cette fois-ci la forme 
est à la hauteur de la vision synthétique 
qu’elle doit exprimer. Elle aussi tend 
sans cesse vers plus de simplicité, vers 
plus de style. Joostens aspire à réduire 
le rôle des moyens d’expression â sa 
véritable proportion. Selon lui, la joie de 
la couleur, le savoureux empâtement de 
la matière ne doivent pas être buts, mais 
moyens. D’ailleurs, il ne se sent que 
médiocrement attiré vers ces effets 
faciles qui accaparent le meilleur de 
l'effort et empêchent d’approfondir 
l’idée ou le sentiment de l’œuvre. Obte 
nir un maximum de qualité à l’aide 
d'un minimum d’application manuelle, 
voilà le véritable but. La couleur en 
tant que couleur ne l’intéresse pas ; il ne 
l’admet que comme véhicule de la sen 
sation à interpréter, Aussi ses dernières 
toiles sont-elles loins de la débauche de 
tous criards et grossiers, chers à nos 
pe'ntres impressionnistes. Tout y est 
nuance, délicatesse et raffinement. Les 
couleurs ne s’y heurtent pas en accords 
étourdissants : une teinte générale, dont 
les reflets se dispersent sur toute 
l’étendue de la toile, agit doucement sur 
la sensibilité du spectateur. La Muse 
élégante, une des dernières œuvres de 
Joostens, est caractéristique à cet égard. 
La simplicité des moyens en est sur 
prenante : quelques légers frottis de tons 
pâles et pour ainsi dire fondus dans 
l’atmosphère générale, quelques traits 
s'incurvant élégamment entre les facettes 
colorées. Et cependant c’est tout le 
mystère, toute la voluptueuse perversité 
de la femme éternelle qu'il a enclos dans 
cette toile, à la fois frivole et lourde de 
sens profond. La fixité cruelle de l’unique 
prunelle a un charme obsédant, qu'ac 
centue encore la préciosité des détails 
synthétiques qui encadrent la figure 
principale. Objective à première vue, 
l’œuvre se hausse cependant jusqu’au 
lyrisme le plus complètement indépen 
dant de la forme extérieure : car ce n’est 
pas tant la signification de chaque ligne 
ou de chaque couleur, prise à part, qu’il 
s’agit de pénétrer, mais bien de se laisser 
envahir par l’émotion qui se dégage de 
l’ensemble. C’est le rythme de l'œuvre 
qu’il importe de percevoir et non pas le 
son spécial émis par chaque note. 
Et ici nous nous heurtons à un des 
plus fâcheux ma 1 entendus qui séparent 
l'artiste du public. Quand donc celui-ci 
comprendra-t-il qu'il est vain de lui 
expliquer au moyen de longs discours le 
sens exact des moindres détails d'une 
peinture, que cela ne peut lui être 
d’aucun secours s’il n’est pas frappé de 
prime abord par l’harmonie et la solidité 
de la construction plastique ? Quand 
donc s’abstiendra-t-il de harceler l’artiste 
de questions saugrenues et indécentes 
au sujet des plus petites particularités de 
la technique ? D’où lui vient cet incessant 
besoin du pourquoi et du comment et 
ne se rend-il pas compte qu’il est des 
intentions que nul n'a le droit de pénétrer 
de force et que le peintre lui-même ne 
saurait commenter d’une façon trop 
précise puisqu'elles dérivent des impul 
sons les plus obscures de son être sub 
conscient. L’art n’est pas une science 
et une interprétation raisonnée et sèche 
ment quantitative (chaque objet étant 
minutieusement pesé et mesuré) des 
valeurs réelles ne constitue pas la base 
du tableau. Ce n'est donc pas le devoir 
du peintre d’en déflorer le mystère par
	        
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