Volltext: Ça ira (6 = 1920, septembre)

ÇA IRA ! 
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Lettre cTiai Bourgeois 
rétrograde 
Le Comité de rédaction vient de recevoir 
la lettre suivante d’un lecteur qui se nomme lui- 
même : “bourgeois rétrogade,,. Nous l’insé 
rons, parce qu’elle contient quelques reflexions 
qui ne nous semblent guère dépourvues d’un 
certain bon sens. 
Anvers, date de la poste. 
Monsieur le Directeur, 
Je n’ai nullement l’intention de vous tromper, 
et commencerai donc par dire que je ne suis 
pas des vôtres. Je ne suis pas un révolutionnaire 
convaincu (la mode actuelle veut qu’on dise ; 
“ bolchéviste „, mais comme je n’entends point 
le russe, je n’ai garde d'employer ce terme, 
dont la signification exacte ne m’est pas 
connue) ; je ne comprends point non plus l’art 
expressionniste ou cubiste, que je trouve par 
faitement idiotr Pourtant je lis avec grand 
intérêt votre revue, parce que je veux être tenu 
au courant des dernières tendances ; mais je 
dois vous dire que parfois vos idées me forcent 
à sourire, toujours avec indulgence, parce que 
je vous soupçonne jeunes. 
Si je me permets de vous adresser cette 
lettre, c’est que, il y a peu de jours, un pério 
dique de tendance plutôt réactionnaire a ré 
fusé de l’insérer sous prétexte que j’avais des 
idées arriérées ! Je m’adresse donc à l’extrême- 
gauche, avec l’espoir de plus de succès. — 
Veuillez donc lire attentivement ces quelques 
lignes, et les publier ensuite, si vous les en jugez 
dignes, sous le titre : “ Lettre d'un bourgéois 
rétrograde „. 
Monsieur le' Directeur, je suis belge, et 
j’aime mon pays ; j'y suis né. j’y ai grandi, aimé, 
et tous mes enfants y ont vu le jour; j’espère y 
trouver un coin oü je puisse reposer un jour, 
là où reposent les nombreuses générations qui 
m’ont précédé. Vous trouvez sans doute bien 
naïfs ces sentiments? Vous haussez les épaules? 
Songez, Monsieur, que vous êtes jeune, que 
vos amis sont jeunes, et que la vie ne vous a 
pas encore permis de recueillir assez d’expé 
riences : vos opinions peuvent changer. Et peut- 
être prêterai-je moins à raillerie quand je vous 
aurai dit que cette terre où je voudrais trouver 
un dernier gîte a reçu aussi la dépouille de mon 
fils ainée, de mon René, tombé glorieusement 
au champ d’honneur à Ramscappelle, face à 
l’ennemi, pour la défense de notre foyer et de 
notre sol natal Vous comprendrez donc 
peut-être pourquoi je me suis attaché à ce coin 
de la terre qui s'appelle la Belgique, pourq toi 
je désire y vivre en paix. 
Tout cela ne fait pas que je donne dans le 
chauvinisme : je suis libéral, Monsieur le 
Directeur, et apprécie Goethe autant que 
Shakespeare et Racine ; les forfaits de la Prusse 
impérialiste ne me feront jamais oublier que 
l'Allemagne est le pays de Kant, de Beethoven, 
voire de Wagner. Je ne m’associerai jamais à 
des ligues “ patriotes „ ou “ anti-boches „ ni ne 
me démantibulerai jamais la mâchoire à force 
de crier dans les rues “ Vivent les chaussettes 
du roi Albert,,. Non. Mais il faut que vous 
sachiez, Monsieur le Directeur, que je suis pas 
“ effaceur de frontières,,, ni ne veux chanter 
les louanges du régime communiste; je n’ai 
guère votre rouge idéal pour la réalisation 
duquel il nous faudrait sans doute sacrifier le 
peu de sang jeune qui nous reste..,.. 
Donc, pour me résumer : j’aime mon pays, 
où je désire vivre tranquille ; j’ai haï les Alle 
mands qui m’ont tué mon fils et ont manque de 
brûler ma maison, et c’est avec une joie immen 
se que j’ai vu rentrer dans nos murs les enfants 
de chez nous, rentrée qui nous apportait aussi 
la fin de l'occupation ! 
Hélas ! il a fallu déchanter bientôt ! A l'occu- 
patiop allemande avait succédé l’occupation
	        
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