ÇA IRA !
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La Dictature de
Quand ,dans un pays quelconque, un
parti d’opposition veut faire au gouver
nement un reproche décisif, ses journaux
et ses porte-paroles proclament avec
énergie qu’“il faut un programme,,. Il
est sous-entendu que le ministère est
accusé de n'en pas avoir.
Dans la majorité des cas, bien certai
nement, cette affirmation n’est qu'une
arme électorale, qu’un lieu-commun
du parlementarisme sous lequel aucune
idée, — et davantage encore aucune
pensée ne se cache. On dit cela comme
on crie “ Vive l’armée „ ou “ A bas
l’armée,,, selon qu’on affiche des senti
ments d’action nationale ou soi-disant
socialistes, selon qu’on siège à droite ou
à gauche, par habitude, ou — ce qui est
pire — par convenance. Puis on songe
au prochain relèvement de l’indemnité
parlementaire et à la nécessité des lon
gues vacances.
Je ne crois pas être pessimiste en
disant que très peu des politiciens qui,
vingt fois par session, adjurent leurs
adversaires d’avoir un programme,
(dont, d’ailleurs, ils sont eux-mèmes fort
démunis), savent pourquoi ils pronon
cent ces mots et pourquoi — exemple
rare et peut être unique — une exigence
de la vérité trouve son expression dans
une formule parlementaire.
Il faut un programme : théoriquement
l’unanimité des avis se fait sur ce point.
Mais je voudrais chercher à déterminer
ici ce qui fait la valeur pratique de cette
(1) Cet article fait partie d’une séries d’essais, dont
la plupart ont été publiés dans les revues françaises
ou étrangères, et qui paraîtront prochainement sous
le titre général : “Essais sur une politique positive*.
rEvènement (1)
proposition. Le danger, en effet, ne
réside pas seulement dans les capitula
tions que l’absence d’un programme
imposera au gouvernement et dans l’in
constance de ses décisions. Car ce n’est
là qu'une forme, qu’une face du pro
blème, et son importance reste confiinée,
somme toute, dans le cadre mesquin de
la lutte quotidienne et de l’électoralisme.
Il faut voir la question beaucoup plus
largement et dire que l’absence de pro
gramme est néfaste parce qu’elle con
duit l’autorité gouvernementale à subir
l’infinence des évènements, — où en
d'autres mots, à poser des actes illogi
ques et indécis sous la poussée des
évènements.
Or si la base idéale d’un bon pro
gramme est “ la politique de la réalité „,
c’est-à-dire le constant accord entre les
directives d’action imprimées, dans tous
les ordres, aux forces de l'Etat par ceux
qui en ont la garde, et la situation
profonde, la situation réelle, (morale,
économique, ethnographique ou autre)
des peuples mis en cause, — rien n’est
plus dangereux que la dictature des
évènements.
Il y a, en effet, entre l’évènement et
la réalité une différence essentielle, — et
souvent une opposition tragique — et
tout le problème de l’utilité d’un pro
gramme se synthétise, se résume et se
concentre ici. Ceux qui, au Parlement
ou dans la presse, crient à leurs adver
saires qu’il leur manque un programme,
feraient preuve, s’ils étaient conscients,
d’une grande netteté d'esprit en prenant
la défense de la réalité contre la poussée
des évènements. (En fait comme un