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de la Pologne? Bonne ou mauvaise,
encore une fois, la Russie bolchéviste
est la Russie réelle, et il faut s'acco-
moder de sa puissance. Au fond de tout,
d'ailleurs, la crise provient de ce qu’à
Versailles la Russie n’existait pas et
qu’on n’en a pas tenu compte. Aujourd'
hui que la force traditionnelle de la
Russie se reconstitue, et qu’elle vient
réparer brutalement l’oubli dont elle
avait été victime, l’équilibre précaire de
la paix chancelle, et tout est remis en
question. La Russie bolchéviste est avec
toutes les tragédies de son application à
la politique, la Russie de Dostoïevsky
qui a pris conscience d’elle même.
Mais — l'Angleterre pour l’Irlande,
l’Entente pour l’Allemagne — des gou
vernements sans programme s’acharnent
à suivre le cours boiteux et chaotique
des évèments. Et très sincèrement ils
s’imaginent qu’en se laissant guider par
les évènements (car ils ne peuvent plus
avoir l’illusion de les conduire) ils font
une politique habile ou du moins, solide.
Croire cela c’est confondre l’obstination
avec la volonté, mais ceux qui installent
le sentiment parmi les facteurs de la vie
publique, (en l’expulsant de la vie quo
tidienne) ne sont pas pour s’émouvoir
d'un tel malentendu.
On a déjà conduit l’Europe à mettre
sur pied sans rixe, l’énorme plaisanterie
d’une Société des Nations, où les acci
dents polonais, tcheco-slovaque. fin
landais, esthonien et autres sont mis en
en considération, et où les réalités russes,
allemande, irlandaise, sont parfaitement
ignorées. Mais on l’entraînera, sans au
cun douter dans des aventures plus
dangereuses.
On l’y entrainera parce qu on n’a pas
de programme, parce qu’on improvise
des décisions sans les coordonner parce
qu'on ignore les fondements sur lesquels
s'affermissent les qualités et aussi les
besoins des peuples, parce qu’on res
treint à un pays ou à la classe dirigeante
d’un pays, l’horizon de ses préoccupa
tions politiques, parce qu’on ne conçoit
pas l’harmonie d’ensemble de l’Europe,
— et en résumé , parce qu'on bâtit sur
les évènements, contre les réalités.
*
* *
La réalité est, si j’ose dire, une force
passive, un état, une manière de penser,
de comprendre et de souffrir, beaucoup
plus que d’agir ou de vouloir.
En face de la réalité, se dressent et
s’agitent une infinité de forces actives,
nourries par l’intérêt, la cupidité, la ja
lousie, la vanité, la colère, par tout ce
qu’il y a de plus implacable et de plus
audacieux.
La réalité est raisonnable. Et ces for
ces ennemies sont de sentiment. On
revient ainsi à l’antagonisme fonda
mental.
Les évènements sont les résultats, les
fruits, les conclusions des efforts accu
mulés sans fatigue par ces sentiments,
par ces forces actives, qui sont une con
spiration permanente dirigée contre la
réalité, — parce que celle-ci est rigide et
formelle et celles-la peuvent croître et
prospérer dans les seuls remous de
l’aventure.
Il est bien évident que ces forces
actives, passionnées daus la défense de
leur point de vue, doivent mutiler sou
vent une réalité qui se défend par sa
seule nécessité, à moins que ce ne soit
par sa seule existence, par sa seule et
indéracinable persistance. Mais, pour