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ÇA IRA !
moi, le rôle de la vraie politique sera tou
jours de dégager la marche des Etats
des compétitions furieuses du sentiment,
— acharné beaucoup plus, d’ailleurs, à
sa victoire qu’à leur perte — et d’épou
ser la stabilité et le rythme paisible de
la raison. Certes aucun gouvernement
n’avouera jamais qu’il choisit ou accepte
comme guides les puissances d’enfer
dont je parlais plus haut. Mais il accep
te, pour assurer sa marche et la diriger,
le bâton des évènements et il faudrait
bien qu'on se rendît compte que les
sentiments et les évènements sont une
seule et même chose, ou, du moins sont
liés comme les causes aux effets qu'elles
entrainent.
L’esprit d’une autorité souveraine
doit être d’opposer le bien des peuples
et leur essence à tout ce qui s’acharne à
les compromettre pour s’assurer un
profit ou un avantage partiel. La réalité
indique la direction qu'une politique
digne doit suivre. Incapable de se dé
fendre soi-même, elle souhaite que les
gouvernements l’adoptent et soient ses
champions. Leur programme, quand ils
en ont un, ne peut être que la reconnais
sance et l'application de ce qu’elle exige
et la résistance ouverte aux forces
hostiles dont les événements révèlent
avec opinâtreté les aspirations. Leur
programme doit être la lutte contre les
évènements au nom de la réalité (c'est
à dire contre le sentiment au nom de la
raison) car le salut du monde en dépend.
S’ils ne le font pas, la révolution est
légitime pour le peuple. Elle constitue
selon la clause des Droits de l’Homme,
“ le plus sacré des Droits et le plus
impérieux des Devoirs,,. L’Irlande avait
le droit de se soulever contre l’Angle
terre, et les foules d’occident, en s’insur
geant contre leurs chefs, s'ils veulent
empêcher (par exemple) l’Autriche alle
mande de s'unir à l’Allemagne ou la
Russie de prendre sa place définitive
dans l’équilibre européen, ne feront
qu’accomplir leur devoir. Quand le
peuple impose une réalité à un gouver
nement qui l’oubliait ou la méprisait, il
fait un acte sacré.
Il faut en effet se rappeler que la base
de réalité n’existe pas seulement dans
l’ordre politique international, mais aussi
dans l’ordre social et économique. Les
révolutions, dès lors, sont le refus du
peuple de souscrire aux conditions de
la vie sociale où veut le tenir un gou
vernement incapable ou trop faible,
aussi bien que son refus de disparaître
au profit d'un voisin plus puissant ou
celui d’accepter une vie artificielle, selon
la fantaisie de quelques diplomates.
Il est logique, quand l’autorité cen
trale n’a pas de programme, qu’une
autre autorité qui en a un, se substitue
à elle. Il est compréhensible que le joug
des évènements soit léger à ceux qui en
profitent, mais intolérable à ceux qui en
souffrent, — léger à ceux au bénéfice
(moral ou matériel) desquels il est
reconnu, mais intolérable à ceux au
détriment desquels il est établi.
Il est possible, quand on a compris
ceci, de comprendre pourquoi certaines
révolutions sont plus faciles à accomplir
que d’autres, pourquoi certaines révolu
tions se sont imposées plus énergique
ment que d’autres aux peuples qui les
ont faites. Certaines réalités, en effet,
sont plus aisément contrôlables et plus
générales. D’autres ne manifestent pas
leur urgence aux yeux des masses, avec