ÇA IRA !
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même à la nécessité de ne point faire de mal,
à l’effort de faire un peu de bien. L’avouerai-
je ? Ce tact de Romain Rolland^ m’a paru
quequefois un peu timide et son scrupule
exagère peut-être la “discrétion,, stoïcienne.
Il n’en est que plus admirable pour quiconque
sait combien est difficile la pratique de cette
vertu et quel poids de pitié peut seul courber
vers elle une noble nature. Quelle affection
nous devons à celui qui, se sentant “le libre
frère de tous les hommes libres,, se veut aussi
fraternel aux esclaves volontaires et essaie,
d’une subtilité amoureuse, s’il ne pourra pas
dénouer aujourd’hui tel lien qui permettrait
demain d’en résoudre un second.
Mais pour ceux qui ont quelque force, la joie
est plus complète d’écouter ce grand esprit
aux heures où, oublieux de l’action précise, il
se dit tout entier en pleine naïveté. Nous
aimons, comme les deux éléments du plus
magnifique et du plus sûr des équilibres, son
scepticisme absolu devant les espérances et les
ténèbres extérieures, sa fermeté intérieure et sa
foi toujours intacte. C’est la grande beauté
humaine que ce renoncement à ce qui nous
est étranger et cette certitude de trouver en
nous-mêmes notre force de vivre et nos raisons
de vivre. J’appelai un jour cette rare puissance
le subjectivisme. Nul ne l’a affirmée plus nette
ment que Romain Rolland : “Ma foi ne consiste
pas à croire que le meilleur sera. Elle croit au
meilleur. Donc il est. ~ Après cela, je puis
regarder exactement, impartialement, le spec
tacle extérieur. Il ne m’ébranle pas, ni ne me
désespère. Car, s’il est une réalité, mon âme en
est une autre.,, Belles paroles de celui que
Jouve définit “un esprit pessimiste sereiné,, et
qui dit encore : “Il y a au fond de moi une
absence totale d’illusion unie à une vitalité
intarissable qui s’en passe.,,
Ni lui ni Jouve n’ont besoin d’imaginer que
la Révolution soulevée à l’Orient de l’Europe
et qui demain peut-être déferlera sur nous,
résoudra tous les problèmes, ou même résou
dra un seul problème. Nous pouvons, sans
recul, sinon sans émoi, voir que la violence qui
s’impose à elle lui impose l’impuissance ; que
les chocs violents ne peuvent que troubler et
obsurcir les questions. Derrière son passage,
la vie extérieure sera pire. Et la vie déjà trop
mauvaise la rend peut-être inévitable. Mais
nous savons les sûrs refuges et nous nous
tiendrons au dessus de la mêlée des partis
comme nous nous sommes tenus au dessus de
la mêlée des patries. Comme ceux qui haïssent
Romain Rolland, ceux qui l’aiment mal échou
eront à l’entraîner au tourbillon des folies. Eux
non plus “ne parviendront pas à lui apprendre
la haine,,.
“Romain Rolland vivant,, est un livre que
tous doivent lire : par curiosité, - par amour, -
surtout par amour de soi-même. J’en connais
peu d’aussi beaux, d’aussi passionnants ; je n’en
connais point qui aide mieux à comprendre les
autres et à se comprendre. Et à quiconque
possède déjà assez de force et de vie pour
soutenir le choc d’amour, quel autre ouvrage
apportera plus de vie et de force ?...
Han RYNER.
*
* *
René Arcos : Pays du soir. Genève 1920.
Editions du sablier.
Ceci est un livre pour ceux à qui répugne
“l’exploitiation des morts,, ; pour ceux qui ne
se laissent pas mener par “les vieillards qui
presque partout gèrent encore les Etats,, ; un
appel à la paix, “paix large et bienfaisante ;
paix pareille à une coupe inépuisable, pour
qui sait accepter, dans un joyeux consentement
de toute sa personne, la nécessité qui le mène,,.
L’auteur fait le procès des tendances qui
président encore au sort des peuples, il flagelle
les mensonges et l’apreté des politiciens. “Les
nations sont plutôt des expressions que des