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LIVRES CHOISIS
Jean Cocteau : Le Coq et VArlequin. Notes autour
de la musique.
Je me laisse immanquablement prendre au piège, à
la musique. Quand je tournais sur les chevaux de bois
en mil neuf cent quatre, l’orgue me bouleversait au
point que la baguette malhabile que je tenais laissait
fuir les anneaux sans espoir de retour. Les noms des
hommes aussi possèdent un charme pour mes sens, et
vous n’avez qu’à répéter encore : Stravinsky, Picasso,
Satie, pour me paralyser aisément. On ne sait pas tout
l’infini qui tient dans un nom propre. C’est un portrait
toujours ressemblant mais toujours à l’avantage du
modèle. Le nom de l’homme revêt ce singulier caractère
du visage humain d’émouvoir mieux et davantage que
les traits d’aucun paysage. J’ai connu un enfant qui
n’avait pas d’ami Pierre, mais que le seul mot : Pierre
émouvait quand on le prononçait avec une majuscule
et laissait froid quand on l’articulait : pierre. De même
que l’enfant, lorsqu’un passant sur les Champs-Elysées
s’apercevait de son trouble, devenait rouge et pour se
donner une contenance chantait un air de café-concert,
de même je me sens honteux de mon émoi à lire la Colla
boration de Parade, et je prends une attitude frivole.
Guillaume Apollinaire : Le Bestiaire ou Cortège
d’Orphée.
Les fruits à la saveur de sable
Les oiseaux qui n’ont pas de nom
Les chevaux peints comme un pennon
Et l’Amour nu mais incassable