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phonographes des maisons de Paysandù, le quatuor des
mendiants aveugles, les guitares nocturnes des rues de
nègres et la voix solitaire de ce noir qui a peinturluré sa
figure de rouge et qui, ivre d’eau-de-vie-de-canne-à-
sucre, danse avec un sorbet au coco à la main.
Dans l’intérieur, des Caïpires, cochers lyriques, debout
sur un char de feuillage, parcourent les routes en chan
tant indéfiniment le même air, changeant à chaque fois
les paroles, ne gardant pour les composer que le temps
du refrain que crient ses camarades en s’accompagnant
d’instruments à percussion.
Tous les soirs il y a une fête dans une rue ; les journaux
l’indiquent : Lundi, rue Ypiranga ; mardi, rue Itapura ;
mercredi, à l’Ile de Paqueta... Les « Serviteurs de la
Folie » sont organisés par petits groupes avec une admi
nistration (un président, un trésorier, un secrétaire,
plusieurs membres, tous Lords et Ladies) ; ils se retrou
vent chaque nuit dans la rue désignée ; la fanfare d’une
société de tir joue une danse (toujours la même) pendant
que, de son côté, chaque groupe chante un air différent,
danse en battant des mains, soutenu par une guitare et
de la batterie, avec un grand sérieux, une grande tris
tesse, comme s’il s’agissait de l’accomplissement d’une
obligation inévitable.
Dans les clubs nègres les bals sont plus solennels
encore. Les négresses doivent être habillées d’une seule
couleur (lundi, robe bleue ; mardi, robe rose ; mercredi,
robe verte). ïl faut être nègre ou appartenir à la presse
pour y être admis. Les nègres, pour la plupart des
domestiques, se Sont annoncer en entrant dans le bal
par le nom de leurs maîtres : on entend ainsi défiler les
noms des grandes familles de l’aristocratie brésilienne
et des membres du corps diplomatique !