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est le but et la table. Les oreilles bourdonnent encore
lorsque l’on écrit.
Synge composait à la machine à écrire et qu’il s’agît
d’une pièce ou d’un article de journal, jusqu’à ce que cha
que adjectif fût à sa place et que chaque phrase eût pris
tournure et tombât bien, il reprenait sa rédaction depuis
le commencement. Chacune de ses rédactions successives
était désignée par une lettre de l’alphabet ; le Baladin
du Monde Occidental qui atteignit la lettre K ne subit pas
moins de douze remaniements complets, pas moins de
onze élaborations successives avant que l’auteur ne s’en
trouvât satisfait.
Le 21 janvier 1907, Synge écrivait la préface de The
Playboy o£ the Western World qu’il venait de terminer.
*
* *
Cette pièce fut représentée pour la première fois à Du
blin, le 20 janvier 1907, au milieu d’un effroyable tumulte.
Pendant que le vacarme faisait rage et que les spectateurs
tendaient le poing, on entendit Synge, assis dans la salle
de l’Abbey-Thèatre, s’écrier : « Il va falloir constituer une
société pour la préservation de l’humour irlandais. » A
Londres et en Amérique, le Baladin fut aussi mal accueilli.
Au mois de décembre 1913, le théâtre de l’OEuvre s’est
honoré en donnant The Playboy of the Western World.
« ...Peut-être n’y a-t-il rien au théâtre de plus réaliste
et de plus parfait depuis Molière et Gogol », écrivait Guil
laume Apollinaire le lendemain de la représentation, « et
c’est à dessein que je les cite car je ne vois personne
d’autre avec lequel on oserait comparer l’auteur irlandais.
De ce réalisme d’une perfection sans cesse inattendue se
dégage une poésie si forte et d’une si rare qualité que je
ne m’étonne pas si elle a choqué.
A New-York cette pièce causait des émeutes parmi les
Irlandais qui ne voulaient point reconnaître dans ces per
sonnages si singulièrement lyriques des âmes irlandaises
et c’étaient des agents de police, presque tous irlandais,
qui devaient intervenir pour faciliter la représentation