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que ce temps psychologique est variable. Il n’est pas, serait-on porté à
dire, le temps du tout, tel qu’on l’entend couramment.
Mais si couramment qu’on veuille l’entendre, le temps peut être va
riable ; et il doit l’être. Mieux : il doit avoir varié. Car si le temps,
le temps psychologique j’entends, se comporte comme une dérivée de
l’état mental, ce qu’on peut admettre, il varie avec l’état mental. Et si
les variations de l’état mental sont plus nombreuses, si la vitesse de pensée
augmente, le temps paraîtra s’écouler plus rapidement. Or, la vitesse de
pensée a changé ; elle s’est accrue dans le temps, cela ne peut faire
aucun doute. N’étant pas constante dans l’espace, c’est-à-dire présentant
de larges variations d’individu à individu, de pays à pays, de race à
race, comme on peut s’en assurer en mesurant le temps perdu de la com
préhension chez divers sujets, il aurait été étonnant que la vitesse de pen
sée ait été invariable dans le temps. Le cinématographe permet des
observations assez précises du phénomène, et surtout en permettra plus
tard. Le film, en effet, par le découpage et le montage, enregistre et
mesure en quelque sorte la vitesse de pensée. Et on sait de combien, rien
qu’en quelque dix ans, l’allure moyenne des films s’est accélérée. Cela, les
progrès de technique mis à part, a bien sa signification. De façon tout
aussi concluante que le film, la littérature dite moderne témoigne d’une
rapidité accrue de pensée. Un poème d’Arthur Rimbaud présente en
quinze lignes dix-neuf raccourcis. La pensée doit prendre une allure véri
tablement de galop pour comprendre un tel poème au cours d’une lecture
à haute voix. Le lecteur est supposé capable de trouver immédiatement,
en une fraction de seconde, le développement, l’analogie qui permet l’ex
plication, et être, immédiatement, prêt à entendre, développer, comprendre
un nouveau raccourci. Et même quand il n’y a pas de métaphores, une
description se compose de quelques détails choisis, de quelques indica
tions qui, à la vérité, ne décrivent pas, mais permettent au lecteur de
décrire, suggèrent une description à la condition toutefois que ce lecteur
pense suffisamment vite. Et si l’on a rompu la cangue de la syntaxe, c’est
encore, n’en doutez pas, pour pouvoir suivre par l’écriture une pensée
devenue plus rapide et qui, à force de course, dépassait son expression