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fragile cristal où tout bruit extérieur vient mourir. Quoique sans monocle,
ma retraite est profonde; sauf que, parfois, l’ont peut quand même
saisir la fièvre de mon regard, — alors je vibre, longuement...
Mais le petit poisson rouge me protège. »
Il glisse cette feuille sous une élastique, parmi d’autres papiers
qu’il portait toujours avec soi; puis, ayant allumé une cigarette, il
étendit les jambes sous la table et enfonça les deux mains dans ses
poches.
D’autres idées, d’autres images l’assaillaient, un fatras de paroles,
de réminiscences. Puis, peu à peu, de tout ce brouillard, un souvenir
surgit, une image se fixa : celle de ce damné du Dante qui s’éclaire,
lanterne au bout de son bras étendu, de sa propre tête.
Il se leva pour prendre le volume et relire le passage. Mais, choc
brutal, le livre n’y était pas, ni l’armoire amicale, où, dans l’ombre
chaude, rutilaient les gaufres d’or d’épaisses reliures...
Il se rassit tout secoué. La tête lui tourna un instant. Enfin il com
prit qu’il n’était plus à Paris, dans sa chambre tapissée, dans sa chambre
assourdie. Et il comprit aussi l’erreur de son départ. Il eut presque
peur de se voir si nu, si frêle, au milieu d’étrangers.
Il arracha une page de son calepin et crayonna : <( A l'école de
l'Hypocrisie :
— Enfin, j’y suis! après bien des aventures et des peines. Mes
gens sont heureux de m’avoir; mais, franchement, ils m’embêtent, je
hais trop toute complication sentimentale. Je suis venu ici pour m’alléger
l’esprit d’une quantité de choses mortes, pour tuer, retuer mon passé.
Je ne pensais pas y rencontrer une famille dont je ne sais que faire. Ces
gens croupissent, ils puent. L’isolement que je puis me réserver est insuf
fisant. J’ai besoin d’un air glacé pour voir éclore mes pensées et pour
suivre mes chimères. La sympathie me trouble.
Que faire?
J’entre à l’école de l’hypocrisie. J’y apprends, pour ne pas souffrir
de l’ambiance, à la cribler de traits, à la percer de paradoxes; et, pour
ne pas souffrir de mes gens, à jongler avec mes sentiments, les leurs.