LA POÉSIE . ' 141
Enfin, une trop grande propension se marque à découvrir l'influence
de l'auteur des Petits poèmes en prose sur à peu près tout écrivain qui
s'étudie consciencieusement. (Il y a quinze ans on était verlainien sans
grands frais). Sans doute — autre paradoxe assez tentant —< y a-t-il
en lespèce moins une influence spéciale et nombreuse, qu’une éducation
générale et obscure des poètes survenants. « Ce serait s'abuser que
de considérer le poète comme un bolide tombé du ciel » note très judi
cieusement M. Ernest Raynaud: Ne serait-ce pas également s'abuser
que d’imaginer un seul poète, ou quelques-uns seuls, illuminés et touchés
par le bolide, en fonction d’on ne saurait quel choix surnaturel? Lequel
pourrait ignorer Baudelaire? Et ne l'ignorant pas, négligerait la lueur
qu'il a jetée, refuserait ce pas de plus qu'il nous a fait faire en nous-
même ?
Je vous rejoins sous l'ogive rouverte
sans tressaillir à votre découverte,
siècles plus près de moi que celui-ci.
Est-il une heure à jamais révolue ?
Telle à mes yeux que je t’aurai voulue,
tu m'appartiens, forme de mon souci.
Or accueillant ce qui fuit, ce qui reste,
ce mur sévère et la douceur agreste
du bel automne aux portes de l’été,
je donne à Dieu ces prières confuses
d’où monte enfin, comme une flamme fuse,
un cri d’espoir, désir de l'unité !
Ces strophes sont de M. Paul Fierens dont vient de paraître, à
l’Expansion belge, le Prisme de Cristal. Ne pourrait-on aussi, avec un
peu de bonne volonté, rechercher là l'influence de Baudelaire? Il est à
croire que M. Paul Fierens ne l'ignore pas, qui veut " connaître à quoi se
confronter ’. Mais encore cela suffirait-il à animer le beau poète sobre,
inquiet et profond qu’il est presque partout dans ce recueil ?
René-Marie HERMANT.