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RENÉ-MARIE FERMANT
Ce qui le caractérise aussi c'est son vers qui semble martelé long
temps sur une rude enclume. Il est dur, puissant, volontaire comme
dans ce début de poème :
A travers la Pampa n'ayant pour relief
que des vaches condamnées à brouter dès le premier tremblement du jour
jusqu'à ce que l’herbe ait un goût de crépuscule
roule le train comminatoire qui vise de tout son fer le Nord guarani.
Il faudrait citer Le Gaucho, La Piste, Attente de la Alort, Colons
sur le haut Parana, et combien d’autres poèmes dont l’originalité est
bien vivante, certaine. Tous sont construits d'un seul élan, chaque
terme en fut cherché avec une foi bien assise et la connaissance du
vocabulaire qu’il fallait employer. Rien cependant, qui ressemble à
un sacrifice au goût du jour. Jules Supervielle est parvenu à la domi
nation de son vers, les œuvres qu'il donnera maintenant seront d'une
qualité à laquelle personne ne pourra rester indifférent.
G. P.
MARI MAGNO, par Édouard Dujardin, {Les Cahiers Idéalistes).
Avec une gravité biblique et quelquefois une verve douloureuse
qu’on est surpris de ne point voir se résoudre en pamphlet éclatant,
M. Edouard Dujardin a fixé ce que l'on pourrait appeler les induits
profonds de son âme, au cours des quatre dernières années de la tour
mente mondiale. En son mépris de premier ouvrier du vers libre pour
toute forme rythmée et assonancée, il a titré " poèmes ' ces pages
véhémentes et elliptiques, déchiquetées, assaillantes comme un long flux
ou concentriques et moirées comme une ronde narquoise, où le métier
du poète ne pouvait guère dominer l'indignation du philosophe, 1 écœu
rement du "prophète européen” sous les traits de qui nous le connais
sons surtout maintenant. Un lyrisme ne s’en dégage pas moins, puissant,
gravide un peu, qui élégit son austérité et vivifie tant de plaintes et
d’amertumes, si lourdes à soulever aujourd’hui. — R-M. H.