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de l’avenir
Deux rails aériens me mènent au sommet inconnu des
rêves.
Pourquoi le sang et non le sable en cette héraldique
farouche ? Sur champs d’azur est mon espoir. Ailé, un
envol de soupirs. Finie, la vie ancienne, et clos les souve
nirs. Toujours je m’en irai penché à l’avant de ma nacelle.
Violentant les remous des vents ou des eaux, jamais je
ne repasserai au même point, chaque minute me sera nou
velle.
Ici les habitants portent leur cœur suspendu à leur cou
comme un médaillon espagnol.
Il en est qui luisent comme des miroirs — âmes-filles
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trop soumises, qui ne savent que pleurer à vos genoux !
Il en est de plus noirs qu’un encrier, avec au fond un
reflet de lumière — c’est un regard. Fuyons les âmes char
bonneuses et consumées !
L’une montrait avec provocation son joli cœur de dia
mant taillé en rose à cent facettes. Mon désir si merveil
leusement s’y multipliait... J’étais cent, mille fois amant —
j’étais le roi magique de milliers de vies 1
Danse une dernière fois, ô toi qui portes sur les épaules le
dôme du firmament. Danse, et fais bouger tout d’une
pièce les constellations muettes.
Quelle coiffure aux yeux de paon, sombre comme une
passion secrète !
Quel diadème aux yeux de paon, cette nuit au front de
poète !
Regards, yeux qui confient ce que toujours taira la
bouche — les aveux, les espoirs — route libre où l’on
s’élance, fenêtre de cachot par où quelque jour on s’évade
— yeux, regards, vous êtes ce qui seul émeut et le signe de
toute gloire.
Diamant, où de mes yeux l’image multipliée éclaire la
nuit d’étoiles nouvelles ; astres, qui me dites l’avenir ;
c’est dans ce cœur taillé en rose que vous naissez à la
mi-nuit, — et tous ces yeux en auréole, en’diadème de
paon royal, c’est chaque fois que la nuit tombe, le ciel
lyrique d’un nouveau monde.
*
Une cloche qui sonnait à la mort ébranla sourdement
la montagne. Des portes s’ouvrirent et une double ran
gée de lumières m’indiqua mon chemin dans la ville.
Cette place aux fontaines roses, où je suis venu autrefois...
Cette fenêtre aux persiennes closes, où chantait quelqu’un
autrefois...
Cette pierre usée par des lèvres ou brûle la lampe
d’autrefois...
S. Grabowski (1928)
Un cheval perdu dans la montagne hennit de frayeur
dans la nuit ; puis ce fut le silence.
Les mains sont des yeux pour déchiffrer l’inscription an
cienne et les secrets qui font s’ouvrir les portes fermées à
jamais.
Si bas qu’on parle, nos paroles ébranlent les vitres comme
des trompettes.
Une place déserte où nulle fenêtre ne s’allume est
une bouche de canon chargée de terreur...
Le ciel était plus glacial que les dalles et mon
désespoir moins lumineux que mes regrets.
La cloche se remit à sonner et un pan de mur s’écroula.
Le silence redevint plus lourd, et tout attendit.
Le ciel du présent s’était rompu.
D ans le ciel - miroir, j’aperçus là-bas mon image — un
matin d’avril dans dix ans — sur une terrasse bleue où
je ferai voler en éclats des boules de cristal veinées de
sang. J’en criblerai la surface des eaux, puis mes mains
lasses frémiront. Et le diamant taillé en rose que je recher
cherai encore m’apparaîtra, rouge comme une sardoine.
Cloches, tout notre passé éclipse l’avenir !
A chaque pas nous meurtrissons du pied un souvenir
qui se lamente !...
PAUL DERMÉE