abstruses des spécialistes, en les reliant à des faits histo
riques et même préhistoriques. En somme, un bilan critique.
Dans la deuxième partie, qui forme à peu près la moitié
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du livre, exposant mes propres idées, j’étudie les Arts, la
Littérature et les Sciences sous l’angle du futur, cherchant
des directives. Particulièrement je m’efforce de définir ce
que sera le grand Art de demain.
Le premier besoin de l’homme, après la satisfaction des
nécessités immédiates, c’est le besoin d’art. Différentes
techniques répondent à ce besoin. L’Art a été inventé pour
nous faire évader de la vie réelle, pour nous faire nous
oublier. C’est à la fois le but des Arts plastiques, de la
Musique, de la Littérature, de la Poésie. La Science, pour
un relativiste, n’est pas la recherche de la vérité en soi,
laquelle est insaisissable, mais la création de systèmes plau
sibles qui s’adaptent à ce qu’on appelle le réel : c’est donc
un art d’illusion... La religion a pour but de construire un
monde meilleur et de nous laisser espérer une survie diffé
rente de la réalité directe, c'est donc aussi un art.
Seules les techniques diffèrent, mais toutes agissent sur
nous à travers nos constantes, c’est-à-dire les facteurs com
muns des hommes de toujours.
La question des Constantes, je me suis appliqué à la
mettre en lumière ; l’art qui ne les touche pas est celui de
la mode. La distinction est sans doute utile aujourd’hui :
l’on vit dans le sentiment de l’éphémère, l’art lui-même
devient fugace, est aimé pour tel. Ce qui m’apparait au
contraire, c’est non la fugacité, mais justement une prodi
gieuse stabilité de l’homme et l’identité de tout ce qui par
tout et toujours l’atteint profondément. Une telle notion
renforce le prestige et la valeur humaine de l’art ; que
serait-il s’il passait ? Et il passerait si notre fond changeait.
Heureusement les vestiges d’il y a des abîmes de siècles
prouvent sa perpétuité.
Ces grandes constantes de l’homme, nos cadences primi
tives, je les ai amenées à la notion de Tropismes.
Une plante pousse dans une cave, les branches vont à
la lumière : Tropisme. Le jour qui fuit nous attriste et
t
l’aube nous fait chanter comme les oiseaux : Tropisme.
Les pyramides nous émeuvent : fixité d’un Tropisme. Le
ma:que de l’hiérophante nègre nous donne un sentiment
religieux comme aux nègres : universalité d’un Tropisme.
Le chapeau haut de forme est solennel pour tout homme de
la terre : action tropique d’une forme. L’Homme va à
l’amour comme le fer à l’aimant : tous réagissent à cer
tains événements, de température, d’électricité, de pesan
teur ou d’actes : Tropismes. Ce terme, je l’ai généralisé
parce qu’il me paraît fécond, compréhensif, compréhensible.
A force de réfléchir sur l’art et après avoir pris une vue
précise des constantes humaines j’aperçus qu’il ne faut pas
considérer l’esthétique comme une chose en soi, mais comme
la conséquence d’une éthique. Non pas certes d’une morale
vulgaire, mais d’une façon particulière d’envisager le monde
extérieur et l’homme. Et je me suis rendu compte que
l’artiste d’aujourd’hui compte trop souvent sur le Don :
Le don n’est qu’une disposition, une pré-disposition. On
sait combien la nature gâche de germes.
Un germe, il lui faut une atmosphère, une température ;
sinon son potentiel se perd dans le cimetière des virtualités
irréalisées. L’air dans lequel le don respire est celui du
grand, du noble, (et 10 heures de travail).
Le seul don efficace est la volonté de s’élever : tropisme
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particulier. Sans doute l’avons-nous tous, mais il est fragile
comme un jeune chêne. Les ratages sensationnels de jeunes
« si doués » viennent de ce qu’ils croient leur facilité suffi
sante. C’est d’ailleurs une erreur de penser que seul le don
inné permet les grandes destinées.
L’entraînement est l’intégration de gestes et d’idées
renouvelées tant de fois que nous finissons par agir aisé
ment ; son impulsion conduit exactement aux mêmes consé
quences que celles du don natif. Réfléchissez : un enfant
de la montagne sait naturellement grimper ; pourtant les
montagnards sont-ils seuls de bons alpinistes ? L entraîne
ment donne des résultats équivalents à ceux du don.
Le don s’acquiert d’un travail convergent. Seule compte
l’impulsion, et peu importe qu’elle vienne d’une prédisposi
tion ou d’un idéal construit :
Le don en art c'est avoir naturellement le sentiment
de la grandeur ou bien avoir acquis le sentiment de
la grandeur. Dans l'un et l'autre cas, le résultat est
identique, la cause est indiscernable :
Cézanne, à voir ses premières oeuvres, était doué pour
faire du Delacroix ou du Courbet ; Wagner du Meyer-
ber ; Debussy du Massenet ; ils acquirent à la longue par
leur travail et leur volonté, le don de faire du Cézanne, du
Wagner, du Debussy-
Notre oeuvre, c’est d’abord nous. Nous, c’est-à-dire le
dispositif créant l’œuvre. Construisons-nous ; trouvons-nous.
Nous deviendrons peu à peu, si Dieu nous prête vie. ce
que nous aurons voulu devenir. Ecoutons les grands mouve
ments du cœur ; faisons contribuer notre intelligence au
perfectionnement de la machine secrète qui en nous crée.
Méditons nos actes et dirigeons-les, car le passé que nous
nous faisons (notre inconscient étant l’intégration de nos
actes en notre nature profonde) modèle notre destinée, nous
prédispose, il nous doue. Il y a un fatum, mais c'est nous
qui le déterminons.
On ne fait pas, tout de go, ce que l’on veut.
Pour penser, écrire, peindre valablement, il faut d’abord,
toujours et avant tout nous travailler ; c’est ainsi que
l’œuvre, il faut la mériter.
. Nous sommes le père de l’homme que nous serons de
main. D’habitude on se fréquente en camarade bien
veillant... soyons notre propre chef, sévère et respectable.
L’œuvre, chaque moment, chaque geste de ;notre vie la
prépare ; et non pas une décision subite. C’est le niveau où
nous nous sommes peu à peu haussés qui nous met de plain
pied avec certains élévations ; on ne se hisse pas d’un saut
en haut d’une montagne, on la gravit ; mais encore faut-il