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P.
P.
C.
Vous m’avez prié de situer la personnalité de
. Picasso par rapport à l’art contemporain. D’au
tres que moi me semblent plus compétents pour
répondre à votre questionnaire. Les écrivains-
laquais, les fournisseurs habituels du maître se
raient tout disposés à saisir une occasion propice
pour entonner un hymne à sa gloire. Pourquoi ne
pas solliciter leur collaboration?
Picasso m’apparaît tout d’abord comme un
ine d’esprit alexandrin. Il représente aux
yeux de l’opinion publique la jeunesse éternelle.
style nouveaux. Ce maniérisme, ce modem style
plastique conviennent parfaitement à une généra
tion de dilettantes, de versificateurs, de brillants
essayistes qui confondent volontiers poésie et gra
phologie. Escamoteur, prestigiditateur, mais pion
nier avant tout, Picasso représente le génie
subversif qui échappe aux classifications, qui brise
tous les cadres, qui transgresse toutes les normes.
Martyr et Prométhée, ce révolté rachète les fautes
du genre humain. Son art n’est-il pas une œuvre
de rédemption?
phénom
man
lassitude et de sénilité.
Picasso l’homme-phénix est le pourvoyeur d’une
époque amorale, frelatée et avide de sensations
violentes. Cette époque éprise de Giovinezza, car
incapable d’être jeune, se flatte aujourd’hui de
prendre conscience
meme
réalise, au
m
m
vention. Elle paie l’aman à ceux qui lui pro
ses morts sucessives et ses ré
surrections n’évoquent-elles pas le cas de Notre
Seigneur?
Le mythe de Picasso est lié étroitement à la lé
gende dorée de la Place Ravignan. Qu’il fasse le
beau, qu’il nargue, du moins en apparence, un
public fait à son exacte mesure, ou qu’il menace
de nous dynamiter, Picasso conserve intacts ses
titres et ses prérogatives d’augure et du grand ini
tié.
(Le problème Picasso tourne tout entier autour
de cette fable incongrue de Messie, d’homme élu,
d’envoyé du destin.)
Une société, une civilisation, vouées à la mort, à
diguent une pâture adéquate à ses vils besoins. Elle la décrépitude, se raccrochent à un art qui a perdu
son centre de gravité. Picasso, ce génie isolé,
ce météore, qui crève un ciel sans tâches, est
pratique volontiers l’éclectisme et le polythéisme.
Après avoir nié le principe même de dieu, elle
adore les idoles. Epoque femelle, passive, elle
épuise, peu à peu, ses ressources, ses riches- que incapable d’atteindre à l’archétype et de con-
image
ses. Mais elle refuse d’accepter le non-être. Elle
se drogue, elle se dope. Picasso est son peintre.
Que dis-je? Il est sa chose. C’est un homme
libre. Il ne connaît ni frein, ni contrainte, ni
retenue. Il n’a pas de scrupules. Il s’exprime
pleinement, intégralement. Cette liberté qui passe
pour une vertu, est un préjugé primaire et roman
tique, tout comme le préjugé de la révolution con
tinue, permanente. L’homme fort avance lente
ment et prudemment. Il parfait ses moyens, il les
intériorise. Il ne sème pas au vent, sa sève trop
abondante. Fécondité n’est pas synonyme de puis-
cevoir un canon absolu. La liberté de M. Picasso
est une sinistre duperie. Cette liberté voulue
et préconçue, mais conquise sans efforts et sans
difficulté est un
libertinage. Si
Picasso
laisse entrer en franchise dans le corps de son
œuvre les plus récents articles de poésie (et s’il
les restitue dotés d’un sens plus pur) s’il suffit à
toutes les inquiétudes, s’il étanche tous les cœurs
mal d’évasion ou de sublimation
isme
sance.
Picasso et son temps
la danse, Pi
casso et Einstein (lisez : la théorie de la relativi
té), Picasso et la guerre, Picasso et la philosophie!
Tels sont les thèmes variés et multiformes que je
propose à la méditation des scribes picassolâtres.
Or, qu’est-ce que Picasso? Un symptôme du gé
nie fin-de-siècle toujours vivace et actuel, du sa-
non-conformisme qui devient un
tanisme et du
de
poncif, e un goût immodéré du symbolisme,
l’écriture artiste, comme disaient les Goncourt.
Ce penchant pour le choix des procédés poétiques
équivoques, digne des poètes maudits, de la rime
difficile et de l’épithète rare est aisément masqué
par un vocabulaire, par un répertoire et par un
nous, demeure-t-il l’axe et la pierre angulaire de
la peinture, message de l’intelligence, vision de
l’univers? Je ne nie pas que Picasso le fut. L’est-il
encore? J’en doute. Le serait-il que cette place
si enviable, à son gré, d’animateur, de chef, ne
prouverait pas grand’chose. M. Picasso est beau
coup trop rivé à l’époque dont il est l’attribut et le
faible, le débile, mais l’honnête porte-parole, pour
avoir le sens de ce qui est humain, de ce qui est-
éternel, pour viser à l’universalité. Peintre de la
vie moderne, il l’est, dans son domaine, comme le
furent dans le leur tels grands artistes de genre.
Au lieu d’être une construction de l’esprit, son
œuvre peint est un documentaire. Picasso, astre
de toute première grandeur, n’est peut-être qu’une
étoile filante.
WALDEMAR GEORGE